Jeudi 3 mai 2007 : lancement officiel du 19e Mai du Livre d’Art. Mijo Thomas nous raconte la petite histoire de cette grande manifestation
Depuis maintenant dix-neuf ans, grâce à une initiative du Syndicat national de l’édition, le livre d’art est mis à l’honneur au printemps, en une efflorescence généralisée – et concertée – de quelques dizaines de titres jetant leurs volumes souvent imposants et leurs jaquettes luxueuses un peu partout chez les libraires, dans les bibliothèques et quelques musées. C’est « Le Mai du livre d’art » – « Le Mai » tout court pour les intimes. Mai où chacun est censé faire ce que bon lui semble… Mai le mois joli, mai le mois de la liberté… il ne saurait y avoir de meilleure période pour honorer le livre d’art – « art » et « liberté », « livre » et « liberté » étant des mots que l’on imagine liés les uns aux autres et dont on aimerait pouvoir dire qu’ils forment des couples insécables.
Ce sont des motivations bien plus terre à terre qui ont conduit le Syndicat national de l’édition à lancer le Mai – ce qui n’enlève rien à l’irrésistible attrait de cette manifestation annuelle et des nombreux événements dont elle est le catalyseur. Rencontres, spectacles, visites privées de collections muséographiques, ateliers d’initiation à tel ou tel aspect de l’histoire de l’art… Voilà les grandes questions de l’esthétique et de son histoire brassées à travers de magnifiques livres valorisés de manière ludique et accessible pour éveiller la curiosité de tous.
Souhaitant aller un peu au-delà des informations – du reste précises et abondantes – disponibles sur le site officiel, nous avons demandé à Mijo Thomas, actuelle présidente du groupe Art du Syndicat national de l’édition, de nous raconter la genèse et l’évolution du Mai…
Quels sont vos liens personnels avec le Livre d’Art ?
Mijo Thomas :
Ils sont anciens – c’est l’histoire de toute une vie professionnelle consacrée au livre, et au livre d’art en particulier. Je suis de ceux qui, dans le bouillonnement des années 70, ont beaucoup travaillé sur l’analyse et le renouvellement de l’esthétique, sur les questions que soulève l’art moderne. Je fais partie de l’équipe qui, en 1976, a lancé la revue Macula. Le nom se réfère d’abord à la tache de peinture mais aussi à la tache jaune grisâtre qui, sur la rétine, permet de diffracter les couleurs. Ce sont toutes ces références qui nous ont séduits et, au terme d’un week-end de brain storming extravagant et échevelé, nous avons fini par adopter « Macula » comme nom pour la revue.
Elle a existé pendant quelques années puis a débouché, en 1980, sur la création des éditions Macula, dont le but initial était de mettre à la disposition du public français les grands textes des théoriciens de l’Histoire de l’art – à l’époque, les éditeurs étaient très franco-français, et nous nous étions rendu compte que manquaient à la traduction des textes étrangers majeurs traitant soit de l’art français soit, d’une façon plus générale, de l’art en France. Il nous fallait donc les faire traduire, puis les publier avec un appareil critique adapté car beaucoup d’entre eux étaient déjà anciens. Mais nous voulions aussi, en plus de cette mise à disposition des grands classiques de la critique d’art, offrir à de jeunes théoriciens la possibilité de s’exprimer et de faire connaître leurs travaux. Nous avons ainsi été les premiers, chez Macula, à publier les ouvrages de Georges Didi-Huberman, de Philippe-Alain Michaud, ou d’Olivier Lugon – pour ne citer qu’eux. Malgré tout Macula est restée une petite structure, et nous avons vite réalisé que nous étions confrontés à toute une série de problèmes interprofessionnels – tels que le droit à l’image, les coûts de plus en plus élevés des droits de reproduction, la visibilité du livre d’art chez les libraires… – que nous ne pouvions pas résoudre seuls. Nous avons donc rejoint le Syndicat national de l’édition pour pouvoir bénéficier d’une dynamique d’ensemble et faire face à ces difficultés. Voici quelque temps, mes collègues m’ont confié la présidence du groupe « Art ».
Quel regard portez-vous sur la façon dont a évolué le sens de l’expression « livre d’art » depuis la fondation de Macula ?
La définition de ce qu’est un livre d’art a toujours été problématique. Pour moi, un livre d’art est une rencontre réussie entre un auteur, un propos, une mise en perspective, et une iconographie. Il faut ensuite distinguer les livres « à texte » de ceux qui « donnent à voir ». Les premiers sont des ouvrages de référence grâce auxquels on approfondit ses connaissances ; l’illustration n’y est pas prépondérannte et sert d’abord à comprendre, à suivre le texte. Les seconds ont pour but de faire découvrir des œuvres, des artistes, des sites, une civilisation… etc. Pour ces ouvrages, la qualité et l’abondance de l’illustration sont primordiales. Pendant très longtemps, d’ailleurs, « donner à voir » a été l’unique propos du livre d’art. Mais aujourd’hui, le livre n’est plus le seul support qui « donne à voir » : la visibilité des œuvres et des hauts lieux mondiaux passe désormais par Internet – il est intéressant de remarquer que les tout premiers sites les mieux conçus et les plus attrayants d’un point de vue esthétique étaient ceux des musées, des institutions, des fondations dédiées à l’art. Avec la démocratisation de l’accès à Intenet, les gens vont de plus en plus chercher l’information sur la Toile et, de ce fait, le support papier souffre d’une certaine désaffection. Cela nous préoccupe beaucoup car, à terme, tous ces gens qui sont habitués à obtenir une information immédiate grâce à Internet risquent de perdre l’idée même de ce que peut être la lecture d’un livre. Or le livre, même quand il est volumineux, reste l’objet nomade par excellence ; on peut le lire n’importe où, on n’a besoin d’aucun accessoire pour le consulter, et lire un livre procure des sensations tactiles dont on se prive en utilisant Internet : on a un livre « en main », la main expérimente la qualité du papier… À une époque où les sens sont de plus en plus sollicités, il serait logique que le livre soit mieux considéré…
Qu’est-ce qui vous a incités à organiser le premier Mai du Livre d’Art ?
Notre intention première était de casser la saisonnalité des ventes : l’essentiel des livres d’art se vend entre novembre et décembre. Cela veut dire que ces livres dont le prix se situe en moyenne autour de 60, 80 euros n’ont aucune chance de trouver un public à d’autres périodes et que le chiffre d’affaire d’une maison d’édition qui publie ce type de livres se fait sur six semaines. Or nous sommes éditeurs du 1er janvier au 31 décembre ; la fabrication des livres pèse dans nos budgets toute l’année. Nous sommes donc bien obligés d’en tenir compte. Et puis n’acheter des « beaux livres » qu’à l’occasion de Noël montre que l’on a pour l’art la même considération qu’envers le foie gras ou les chocolats et nous ne pouvons pas être d’accord avec cela. Pour nous, l’art devrait faire partie de la vie et les enseignements artistiques de notre environnement quotidien ; le livre est le compagnon naturel d’un intérêt permanent pour l’art, et rien ne justifie que l’on cantonne l’acquisition de livres d’art aux deux derniers mois de l’année.
Actuellement, d’après les enquêtes qui ont été menées par différents instituts, cette période fatidique représente 40 pour cent des ventes. Les libraires étant de mieux en mieux équipés en systèmes de gestion, nous avons une idée beaucoup plus précise du poids que nous impose cette saisonnalité. Elle était plus forte encore il y a quelque temps mais aujourd’hui, le développement des catalogues d’exposition la brise un peu : il y a ; tout au long de l’année, des expositions qui donnent lieu à l’édition d’un catalogue dans le sillage duquel sortent d’autres ouvrages touchant de près ou de loin le thème de l’exposition. Le public est alors particulièrement réceptif, et ce type de publication permet d’assurer la diffusion du livre d’art en dehors des fêtes de fin d’année – une exposition qui attire une très forte affluence, comme La Mélancolie, draine des lecteurs bien au-delà du seul catalogue et tous les livres afférents en bénéficient. Pour « délocaliser » davantage les ventes, nous avons imaginé de programmer une sortie groupée d’ouvrages d’art au printemps assortie d’une grosse opération médiatique ; c’est devenu le Mai du Livre d’Art.
Pourquoi avoir choisi le mois de mai ?
Pour des raisons essentiellement conjoncturelles : les éditeurs ont eu, depuis janvier, suffisamment de temps pour préparer leurs livres ; c’est une période hors vacances scolaires mais bien pourvue en jours fériés et ponts, pendant laquelle de nombreuses manifestations culturelles sont organisées. Tout cela crée donc un contexte favorable à la mise à l’honneur des livres d’art. Cela dit, beaucoup d’événements liés au Mai vont, en fait, se dérouler en juin – notamment ceux qui doivent avoir lieu dans les mairies, celles-ci étant, cette année, monopolisées par les élections présidentielles. Mais peu importe : ce qui compte, c’est de créer une dynamique, de faire parler des livres, d’amener vers eux plus de lecteurs et, si possible, de conquérir un lectorat plus large.
Comment pensez-vous élargir le lectorat du livre d’art à l’heure où, justement, comme vous le disiez tout à l’heure, de plus en plus de gens négligent le livre pour aller puiser l’information sur Internet ?
Ce n’est certes pas une tâche facile, d’autant que le livre d’art est en général coûteux – bien que ces dernières années leur prix moyen ait considérablelment baissé. Nous avons travaillé sur deux axes pour atteindre malgré tout un nouveau public. Nous avons tout d’abord développé les partenariats avec les bibliothèques, notamment celles de la Ville de Paris – si la librairie est le lieu principal de présence du livre, la bibliothèque, elle, lui assure une seconde vie. Nous savons tous combien les libraires sont soumis à la pression toujours grandissante de l’actualité – qui est plus insupportable encore pour le livre d’art qui, par son prix et son volume, demande plus de temps pour s’imposer. Au rythme où les librairies doivent fonctionner aujourd’hui, ces ouvrages n’ont plus la possibilité de s’inscrire dans le « paysage livresque », d’être remarqués, feuilletés, achetés… De plus, étant donné la lourdeur des processus de fabrication, ils ne se réimpriment pas aisément quand ils sont épuisés. Et ce sont les bibliothèques qui assurent, en grande partie, leur pérennité ; elles jouent un rôle très important dans la conservation des ouvrages et leur mise à disposition du public – elles sont des lieux de mémoire. J’insiste beaucoup là-dessus parce que la survie des livres est devenue très fragile : par exemple, si l’on essaie de retrouver l’ensemble des livres qui ont figuré dans les différentes sélections depuis le premier Mai du Livre d’Art, on réalise que très peu sont encore disponibles… Si nous parvenons à organiser le 20e Mai, je voudrais établir la liste précise des ouvrages que l’on peut encore se procurer dans le circuit de la librairie traditionnelle afin que l’on se rende comtpe à quel point notre travail d’éditeurs – et d’organisateurs du Mai – est périssable. Un tel état de choses m’afflige, car ce sont souvent des textes majeurs de l’Histoire de l’art qui en pâtissent. Fort heureusement, les bilbiothèques sont là !
Pour en revenir au second axe qui nous a guidés pour aller vers de nouveaux lecteurs, nous nous sommes également associés à la Nuit des musées – une manifestation annuelle relativement récente dont le principe est d’ouvrir gratuitement les musées participants jusque très tard dans la nuit, de façon à permettre à tous les publics d’accéder à leurs collections. La Nuit des musées est organisée conjointement par la Direction des musées de France et le Ministère de la culture. La gratuité d’accès, assortie d’animations, de spectacles à caractère ludique et / ou pédagogique à l’intérieur des musées amène de très nombreux visiteurs, et cela nous a paru être une excellente occasion pour que se rencontrent ces visiteurs et le livre d’art ; aussi nous sommes-nous arrangés avec les organisateurs pour que le livre soit le plus présent possible pendant cette Nuit un peu particulière qui, cette année, aura lieu le samedi 19 mai – soit juste pendant le week-end de l’Ascension, ce qui m’inquiète un peu car ne n’est pas une période très faste pour toucher le public…
J’imagine que les partenariats noués ont beaucoup évolué en dix-neuf ans d’existence ?
En effet ! À ses débuts, le Mai avait essentiellement comme partenaires des organes de presse tels que Télérama, L’Œil, Connaissance des Arts, Le Figaro Madame, Art Presse… qui, de plus, s’associaient à nous pour décerner un prix – le « prix du Livre d’Art ». Nous avons aussi bénéficié de parrainnages prestigieux – ceux de Jean-Charles de Castelbajac, du danseur Patrick Dupond, de Dominique Sanda… entre autres – et du soutien de nombreuses personnalités à qui nous avions demandé de créer leur bibliothèque d’art idéale – Denise René, la galeriste bien connue, le conservateur Michel Laclotte, Michel Pastoureau… Le Mai s’est ainsi peu à peu monté à travers ce genre d’opérations, accompagnées d’une communication massive auprès des libraires, qui sont nos partenaires « naturels » si j’ose dire – la librairie demeure le lieu de vente du livre par excellence, et ce sont les libraires qui nous soutiennent, nous renvoient une image fiable de notre action. C’est pourquoi nous nous battons pour que le livre d’art soit bien diffusé dans toutes les librairies, et pas seulement dans les librairies spécialisées. Nos partenariats se sont progressivement diversifiés et multipliés. Il y a quelques années, nous avions conclu un accord avec le Lieu Unique, à Nantes – l’ancienne biscuiterie LU devenue un espace dédié à l’art contemporain – où, pendant quatre ou cinq ans, nous avons monté une énorme librairie à l’occasion du Mai qui rassemblait 15 à 20 000 volumes. Tous les éditeurs avaient joué le jeu, même ceux qui ne participaient pas à la sélection. La scénographie changeait d’une année sur l’autre, c’était magnifique ! Nous avons hélas dû nous séparer du Lieu Unique parce que cet espace est consacré presque exclusivement à certaines tendances esthétiques très contemporaines alors que le Mai réunit des livres abordant toutes les époques, depuis la préhistoire jusqu’à ce qui est en train d’émerger. De ce fait, certains éditeurs ne parvenaient pas à trouver leur place dans les animations proposées par le Lieu Unique. Mais ce lieu exceptionnel et la ville de Nantes n’en continuent pas moins à participer au Mai…
C’es évidemment assez douloureux de renoncer à une si belle et si vaste librairie, d’autant qu’il est très important que le public puisse voir l’ensemble de la sélection et qu’une telle mise en place est trop lourde pour la plupart des libraires et des bibliothécaires, qui ne peuvent présenter qu’une toute petite partie de ces ouvrages. Nous avons remédié à cela en passant un accord avec la BPI – la bibliothèque de Beaubourg – de façon à ce que la totalité des quarante livres sélectionnés demeurent visibles pendant toute l’opération.
En quoi consiste ce « prix du Livre d’Art » que vous avez mentionné ?
C’est un prix purement honorifique qui récompense un des ouvrages de la sélection. Les premiers prix ont été décernés en association avec l’organe de presse qui soutenait le Mai – de fait, cette récompense était assez mal perçue par certains lecteurs, pour qui le média en question conférait au livre lauréat une coloration particulière. Nous avons donc souhaité que ce prix devienne totalement indépendant, et nous avons pour cela désigné un jury selon des critères bien précis. Nous espérons que cela donnera à cette récompense l’éclat qu’elle mérite.
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Le principe de la sélection d’ouvrages a-t-il toujours été en vigueur pour le Mai ?
Mijo Thomas :
Oui. Le Mai, qui est en grande partie financé par les éditeurs participants, représente une série d’opérations lourdes et coûteuses à organiser, et cela ne peut cocnerner qu’un petit nombre d’ouvrages. Il a fallu définir des critères pour qu’un livre puisse figurer dans la sélection, dont le principal est la date de sortie, qui doit être comprise entre janvier et avril. Le nombre d’ouvrages sélectionnés tourne en général autour d’une trentaine. Ils sont quarante cette année parce qu’aux vingt-huit de la section « Art » se sont ajoutés – c’est la nouveauté 2007 – douze ouvrages destinés à la jeunesse, parmi lesquels l’un deux recevra aussi son prix.
Je tiens à préciser que le Mai est une initiative du Syndicat national de l’édition mais que les éditeurs participants – que leurs ouvrages figurent ou non dans la sélection – ne sont pas forcément membres du Syndicat. Nous sommes ouverts ; le Mai n’est pas une pure émanation du Syndicat et accueille sans hésitation des éditeurs qui ne participent pas aux activités syndicales.
Comment s’effectue cette sélection ?
C’est toujours très compliqué… Mais il faut d’abord satisfaire à des nécessités matérielles : le livre doit être prêt à la vente au moment du lancement du Mai, et l’éditeur candidat à la sélection doit être en mesure d’assumer le coût financier – qui est important, je le répète – de sa participation. Ensuite, il faut choisir un ouvrage qui corresponde peu ou prou à une certaine demande du public – ce peut être très délicat pour un éditeur de choisir un livre dont il sait qu’il n’aura qu’une audience très confidentielle mais il peut aussi vouloir parier sur un tel livre et profiter du Mai pour lui offrir une visibilité qu’il ne saurait espérer en dehors de ce contexte… La sélection s’établit peu à peu, au gré des rencontres et des discussions entre les participants.
Que signifie, pour un livre et son éditeur, de figurer dans la sélection du Mai du Livre d’Art ?
Cela revient, pour l’éditeur, à bénéficier d’une vaste opération de presse grâce à laquelle il pourra toucher l’ensemble du secteur de diffusion des livres. Par exemple, notre sélection 2007 comporte un livre sur l’architecture religieuse, publié par le CNDP [cf à la fin de l’article, la liste complète des ouvrages sélectionnés pour le Mai 2007 – NdR] Grâce à cela, les librairies religieuses ou spécialisées dans les ouvrages religieux auront peut-être un regard plus attentif sur le reste de la sélection. Avoir un livre répertorié dans la sélection permet à l’éditeur de lui donner une visibilité plus grande, de l’introduire dans des lieux où le livre n’est, a priori, pas très présent – institutions, musées… – et d’être en lice pour recevoir le prix du Livre d’Art…
Le Mai est prétexte à toute une série d’événements. La communication auprès des organes de presse n’est-elle pas suffisante pour attirer le public ?
Hélas non. Nous sommes de plus en plus tributaires de l’événementiel mais la sortie d’un livre a cessé d’être un événement en soi. Aujourd’hui il est illusoire d’espérer susciter l’intérêt pour un livre d’art qui n’aurait aucun rapport avec une exposition ou une commémoration quelconque. À cet égard, je voudrais citer une anecdote éloquente que raconte souvent l’éditeur Adam Biro ; lors d’une Foire de Francfort, il a rencontré M. Abrams – un grand nom de l’édition internationale. Adam présentait un ouvrage de référence sur Vélasquez, qu’il venait de publier. Abrams le remarque, le feuillette, le trouve intéressant, et demande où a lieu l’exposition. Adam répond que l’ouvrage ne se réfère à aucune exposition particulière. Abrams repousse le live et s’en désintéresse aussitôt…
Une telle réaction est dramatique : cela signifie tout bonnement qu’à plus ou moins long terme, la publication des livres risque d’être formatée en fonction des événements et des modes et que, par conséquent, des pans entiers de l’Histoire de l’art seront ignorés. L’on connaît déjà une situation alarmante : à l’heure actuelle, par exemple, personne ou presque ne s’intéresse aux peintres du XVIIIe siècle, et le Louvre manque cruellement d’ouvrages de référence les concernant – en dehors de Fragonnard ou de Watteau, on ne trouve rien qui touche à des artistes moins connus. On ne peut même pas se procurer d’ouvrage qui fasse autorité à propos de Greuze, qui est pourtant loin d’être un inconnu… Mais comme aucune exposition ne lui est consacrée, et qu’on connaît surtout de lui des sujets un peu mièvres, personne ne s’investit dans des analyses approfondies de son œuvre. De toute façon, quel est l’éditeur qui prendrait le risque de publier une monographie sur Greuze alors qu’aucun événement ne viendrait supporter le lancement de l’ouvrage ?
Le Mai permet de prendre le contrepied de cette tendance et de susciter l’événement autour des livres – notre principe étant de toujours partir des livres. La communication auprès des médias s’articule donc à la fois autour des livres eux-mêmes et des animations qui seront proposées dans leur sillage.
Lors de la conférence de presse, vous avez parlé des libraires et des bibliothécaires qui « organisent leur Mai tous seuls dans leur coin ». Dans quelle mesure ce genre d’attitude est-il préjudiciable au Mai ?
Préjudiciable est un bien grand mot ! L’essentiel étant que l’on parle du Livre d’Art à cette période de l’année, nous ne voudrions pas jeter la pierre à ceux qui le font en dehors de ce que nous proposons. Néanmoins cela nous pose problème en tant qu’organisateurs parce qu’on nous réclame du matériel de mise en place et de promotion de la sélection (affiches, présentoirs, marque-pages… etc.) – la demande est très forte, et nous nous efforçons d’y répondre au mieux, ce qui représente un gros investissement en termes de temps et de moyens – et, en définitive, nous nous apercevons que certains libraires l’utilisent pour remettre en rayon des invendus de Noël, ou des livres auxquels ils sont attachés et qui n’ont rien à voir avec ceux que nous avons sélectionnés. Il y a ainsi beaucoup d’endroits où il se passe des choses passionnantes sous l’égide du Mai, pendant le Mai, avec l’affiche du Mai… mais en marge de notre sélection. Quand le matériel que nous expédions n’est pas utilisé selon sa destination, nous perdons tout moyen d’avoir des retours quant à l’impact réel de l’opération. Cela est problématique, mais au fond, c’est la rançon du succès : nous avons lancé quelque chose qui a fini par nous dépasser, et sur quoi nous perdons prise…
En dépit de cette habitude que vous dites désormais acquise de voir paraître des livres d’art au printemps, j’imagine qu’organiser le Mai demeure une bataille de chaque année ?
Oui, c’est littéralement un acte de foi que de s’occuper de cette manifestation… En tant qu’éditeurs, nous avons de plus en plus de mal à fabriquer nos livres, et distraire un peu de notre temps pour organiser le Mai devent de plus en plus délicat. D’autant qu’il est presque impossible de déterminer l’impact réel de l’opération. On voit, bien sûr, qu’il y a un pic de ventes en mai – loin cependant des 40% de chiffre d’affaires réalisés en fin d’année. Mais il est difficile de dire dans quelle mesure ces ventes sont imputables à la dynamique instaurée par le Mai… Au-delà de l’avenir de la manifestation proprement dite, nous sommes très préoccupés par des questions plus larges, notamment celle de l’enseignement artistique dans les collèges et lycées. Il est quasi inexistant… Comment pouvons-nous espérer élargir notre lectorat si les jeunes générations ne sont pas sensibilisées à l’art ? Et sans accroissement de la demande en matière de livres d’art, comment pouvons-nous espérer continuer à fabriquer nos livres dans des conditions acceptables ? C’est ainsi tout le devenir du livre d’art, et pas seulement les modalités d’organisation du Mai 2008, qui est l’objet d’une vaste rélfexion engagée au sein du Syndicat de l’édition.
Mais, pour le moment, le Mai 2007 est là et bien là, tout beau, tout frais – profitez-en !
La sélection du Mai du Livre d’Art 2007
Section Art
– Pierre Miquel, Diaz de la Peña. Monographie et catalogue raisonné de l’œuvre peint (ACR édition)
– Jean et Danielle Burkel, Tapis d’Iran. Tissages et techniques (l’Amateur)
– Jean-Paul Gaultier-Régine Chopinot, le défilé, ouvrage collectif publié sous la direction d’Olivier Saillard (Les Arts Décoratifs)
– Hilton McConnico, Extravagance (Bernard Chauveau)
-Trésors carolingiens. Livres manuscrits de Charlemagne à Charles le Chauve, ouvrage collectif publié sous la direction de Marie-Pierre Laffitte (BibliothèquenationaledeFrance)
– Jean-Michel Leniaud, Vingt siècles d’architecture religieuse en France (SCEREN-CNDP)
– Airs de Paris, ouvrage collectif publié sous la direction de Christine Macel et Valérie Guillaume (Centre Pompidou)
– Richard Leydier, Jean Messagier. Paris 1920 – Montbéliard 1999 (Cercle d’art)
– Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire illustrées par la peinture symboliste et décadente (Diane de Selliers, « La petite collection »)
– Alain Blondel et Laurent Sully Jaulmes, Un siècle passe… 50 photos-constats (Dominique Carré éditeur)
– Ludovic Leonelli, La Séduction Baudrillard (ENSBA)
– La Galerie des glaces. De sa création à sa restauration, ouvrage collectif (Faton)
– Carole Troyen, Judith Barter, Janet Comey, Edward Hopper (Flammarion)
– Othon Friesz. Le fauve baroque 1879-1949, ouvrage collectif publié sous la direction de David Butcher (Gallimard)
– Jean-Christophe Bailly, L’Atelier infini. 30 000 ans de peinture (Hazan)
– Laurence Rivière-Ciavaldini, Imaginaires de l’Apocalypse. Pouvoir et spiritualité dans l’art gothique européen (INHA – Coédition CHTF)
– Bruno Suet (photos) & Catherine Schidlosvky (texte), Jardiniers. Portraits de jardins, portraits de jardiniers (Marval)
– Dominique et Jean-Philippe Lenclos, Maisons du monde. Couleurs et décors dans l’habitat traditionnel (Le Moniteur)
– Praxitèle, ouvrage collectif publié sous la direction d’Alain Pasquier et de Jean-Luc Martinez (Musée du Louvre éditions – Coédition Somogy)
– Nouvelle-Irlande. Arts du Pacifique Sud, ouvrage collectif publié sous la direction de Michael Gunn et Philippe Peltier (Musée du quai Branly – Coédition 5 Continents)
– Guillaume Monsaingeon, Les Voyages de Vauban (Parenthèses)
– Fischli & Weiss. Fleurs et Questions. Une rétrospective, collectif d’auteurs (Les Musée de la ville de Paris)
– Pierre Wachenheim, Hoëlle Corvest, Le Panthéon (éditions du Patrimoine coll. « Sensitinéraire »)
– L’âge d’or de l’Inde classique. L’empire des Gupta, ouvrage collectif publié sous la direction scientifique de Late Professor M.C. Joshi (Réunion des musées nationaux)
– Olivier Godet & Benoît Fougeirol, Patrimoine reconverti : du militaire au civil (Scala)
– Zizi Jeanmaire / Roland Petit. Un patrimoine pour la danse, ouvrage collectif publié sous la direction d’Alexandre Fiette (Somogy)
– Yves Calméjane, Histoire de moi, l’histoire des autoportraits (Thalia)
– Sally et Richard Price (Traduction Danièle Robert), Romare Bearden. Une dimension caribéenne (Vents d’ailleurs)
Section Jeunesse
– Véronique Bouruet-Aubertot, L’Art contemporain (Autrement Junior)
– Elizabeth Amzallag-Augé, Jaune Orpiment (Centre Pompidou)
– Caroline Larroche, Olivier Morel, Ukiyo-e, Images du monde flottant. Le siècle d’or des estampes japonaises (Courtes et Longues)
– Les Nouveaux Réalistes, ouvrage collectif (Dada- Mango)
– Claire d’Harcourt, Des larmes aux rires. Les émotions et les sentiments dans l’art (Le Funambule – Le Seuil)
– Mila Boutan, C’est toi l’artiste ! (Gallimard)
– Claire Cantais, Victoire s’entête (Musée du Louvre éditions)
– Marie Sellier, Arts décoratifs entrée libre (Nathan)
– Olivia Barbet-Massin, Caroline Larroche, La Grande parade de l’art ! (Palette)
– Corinne Albaut, Jean-Claude Polton, Virginie Grosos, La forêt de Fontainebleau et l’École de Barbizon (Editions du Patrimoine)
– Marie Sellier, Mon petit centre Pompidou (Coédition centre Pompidou)
– Séverine Saint-Maurice, L’Ogre Picasso (éditions Thierry Magnier)
Interview réalisée par isabelle roche le 25 avril 2007 au siège du SNE, 115 boulevard Saint-Germain – 75006 PARIS |
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