Archives de Tag: Jérôme Bosch

Fabliaux

Un hymne à la liberté de parole et de pensée face aux strates du pouvoir temporel et séculier

Drolatiques ou érotiques, satiriques et critiques, les « fabliaux » du Moyen Age donnent souvent l’occasion à qui s’y risque d’entrer en contact avec une langue oubliée et un tour d’esprit où le perfide le dispute au coquin. Ici réunis puis commentés dans le dossier complémentaire par Aurélie Barre, ces courts textes à la fois nous font rire et nous donnent à concevoir la nature des relations, hiérarchiques et sociologiques avant l’heure qui étaient celles de nos aïeux.

L’amateur, éclairé ou non, pourra au choix consulter directement la mise en perspective des textes organisée en six points : Vie littéraire (« le contexte historique des fabliaux ; une période de grandes mutations ») ; L’écrivain à sa table de travail (« les fabliaux, des contes à rire ») ; Groupement de textes thématique (« le repas dans quelques textes médiévaux ») ; Groupement de textes stylistique (« les procédés du comique ») ; Chronologie (« le temps des fabliaux ») et Éléments (« des pistes pour rendre compte de sa lecture ») ou se délecter d’emblée en lisant dans l’ordre ou au hasard les toniques légendes moralisantes de Cortebarbe, Jean Bodel, Durand Garin et autre Rutebeuf.

Estula, Les trois aveugles de Compiègne, Les perdrix, Le Prêtre qui mangea les mûres, Saint Pierre et le jongleur,tous ces textes savoureux insistent de conserve sur des thématiques omniprésentes : celle du vilain (du serf) naïf toujours abusé par un plus madré que lui, du corps écclésiastique tant corrompu que goulu, de la satiété quasi paradisiaque offerte par une nourriture abondante et fort convoitée à ce titre, et celle de la femme éternelle tentatrice et mali(g)ne surprême.
Réunis par la grâce d’un récit qui emprunte ses tropes à la fable orale, ces sujets de préoccupation des auteurs médiévaux qui s’en font le roboratif écho surprennent par l’allégresse tout en ironie et virulence mêlées de la sagesse des nations qui s’y profile déjà. Des adages sentencieux et humoristiques qui sont présents en droit également dans la lecture d’image proposée par Alain Jaubert, s’attardant ici sur La nef des fous de Jérôme Bosh comme écho pictural de l’œuvre écrite.

À l’instar de ce que laisse présager la sulfureuse première de couverture du livre, on s’attend donc à un feu d’artifice afin d’achever en beauté cet hymne à la liberté de parole et de pensée face aux strates du pouvoir temporel et séculier. Mais que nenni, au lieu de cela, Jaubert nous inflige un insipide pensum sur l’historique de la toile et nous endort littéralement en chaussant ses pieds d’esthète officiel de vieux croquenots (pardon de l’anachronisme) éxégétiques déjà mille fois usés, soit le commentaire des postures de chaque membre du tableau, ce qu’a fait plus brillamment avant lui le romancier Gregory Norminton (La Nef des fous, Grasset, 2002).
Bref, on ressort déçu de cette soi-disant lecture de l’image qui fait du surplace en égrenant quelques poncifs boschiens mais cela n’enlève en rien le mérite de ces Fabliaux qui ragaillardissent la littérature populaire !

frederic grolleau

   
 

Collectif, Fabliaux, dossier et notes par Aurélie Barre, Gallimard, collection Folioplus classiques, 2005, 211 p. – 3,50 €.

Commentaires fermés sur Fabliaux

Classé dans Essais / Documents / Biographies, Poches

Roger Van Schoute, Monique Verboomen, Jérôme Bosch

Est-il hérétique ? est-il catholique orthodoxe ?

Difficile de s’attaquer à un monstre sacré tel que Bosch, un des artistes les plus fasicnants de l’histoire de l’art occidental. Réputé pour ses scènes fantasmagoriques, où se rejoignent dans un étrange sabbat esthétique monstres bizarroïdes, représentations énigmatiques et méditations mystiques teintées d’ergot de seigle, Hieronymus van Aeken, dit Jérôme Bosch, ne cesse d’alimenter depuis son XVIe siècle flamand les controverses quant à ses convictions : est-il hérétique ? est-il catholique orthodoxe ? N’est-il pas plutôt un révolutionnaire drogué ou un représentant de la Confrérie de Notre-Dame, voire, pire encore, de la secte des “adamites” ?

Mais, aux côtés de Monique Verboomen, Roger Van Schoute, docteur en archéologie et histoire de l’art, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain, professeur à l’Institut supérieur d’histoire de l’art et d’archéologie de Bruxelles, dispose d’atouts non négligeables pour relever ce beau défi herméneutique. C’est ainsi qu’une attention particulière est apportée au contexte religieux de l’époque, ce siècle de crise où les hommes paraissent douter de la théodicée comme du sens de leur libre arbitre face aux tentations qui sont légion.
Loin de l’orthodoxie de rigueur, les auteurs se plaisent alors dans un ouvrage agréable à parcourir, et qui tient bien en mains (enfin un beau livre qu’on n’est pas obligé de lire debout en manipulant les pages avec des gants blancs de peur de les casser !), à souligner les disciplines ésotériques telles l’astrologie, l’alchimie ou l’hermétisme symbolique où étincelle l’incomparable savoir-faire boschien en matière de méditation sur l’essence du mal. La thématique de Bosch est enracinée dans son temps, mais comme l’écrit Caterina Virdis Limentani : “Bosch situe ses créations fantasmagoriques dans un espace imaginaire – donc lyrique – irrationnel, mais qui domine la représentation elle-même.”(…)
Bosch est bien un homme de la tradition et de la fidélité à l’Église, mais comme dans ses bulles de verre du Jardin des Délices, la tradition se fendille.

Et le lecteur de découvrir, magnifiques illustrations à l’appui, comment l’atypique didactisme de Bosch parvient à s’inspirer des paraboles bibliques elles-mêmes pour les transcender en les cryptant derechef à sa façon. Entre enfer et paradis. De ce point de vue, ce livre est pu-re-ment un indispensable !

frederic grolleau

   
 

Roger Van Schoute, Monique Verboomen, Jérôme Bosch, Renaissance du livre, 2001, 224 p. – 59,54 €.

 
     
 

Commentaires fermés sur Roger Van Schoute, Monique Verboomen, Jérôme Bosch

Classé dans Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Beaux livres