Avant de dévoiler ce qui se trame pour le 56e Festival de Sarlat, J-P Tribout nous présente le Festival de la Comédie de Dax
Juin approche et déjà se profile, pour Le Littéraire, le temps de suivre le festival de Sarlat. Comme l’an passé, je me suis tournée vers Jean-Paul Tribout pour savoir ce que nous réservait la 56e édition du Festival des Jeux du théâtre. Rendez-vous fut pris pour le jeudi 17 mai, dans un bistrot parisien proche de la station de métro Filles du Calvaire. À l’heure convenue, nous trouvâmes porte close : c’était le jeudi de l’Ascension… ce qui nous avait échappé à l’un comme à l’autre. Fort heureusement, la notion de jour férié n’est pas appréhendée pareillement par tous les cafetiers de la Capitale, et nous n’eûmes pas à errer longtemps avant de découvrir un endroit confortable où nous installer.
Avant même que je m’enquière du programme sarladais, Jean-Paul me tend une amusante petite brochure noire et rose avec, en première de couverture sous le nom de Dax, une drôle de créature souriante, hybride entre un clown et un magicien dessiné par un enfant facétieux. Je m’occupe aussi du festival de la Comédie de Dax, me dit-il. Laissant alors Sarlat momentanément de côté, je lui demande de m’en dire un peu plus sur ce festival dont j’ignorais l’existence – ce à quoi il consentit avec cet enthousiasme ardent et cette délicieuse volubilité que j’avais tant appréciés lors de notre premier contact en juillet dernier…
Présentez-nous donc ce Festival dacquois…
Jean-Paul Tribout :
C’est une manifestation qui existe depuis huit ans, exclusivement dédiée aux spectacles comiques et humoristiques. Le terme de « comédie » est ici à comprendre au sens restreint de « ce qui fait rire ». Cela ne signifie pas pour autant que l’on ne propose que des pièces où l’on se tape sur les cuisses tout au long de la représentation ! Même réduit à sa signification comique, le mot « comédie » reste assez ouvert pour s’appliquer à des spectacles très variés… Disons juste qu’une tragédie de Racine n’y a pas sa place (rires). Le festival, qui jusqu’à présent se tenait sur trois jours, a cette année été prolongé sur une semaine : il s’ouvre le samedi 2 juin et s’achève le samedi 9 – nous avons dû renoncer à le clôturer le dimanche à cause des élections législatives. Si tout marche bien en 2007, nous organiserons l’édition 2008 de façon à couvrir deux week-ends entiers, dimanche compris, et la semaine qui les sépare.
Comme à Sarlat, chaque spectacle fait l’objet d’une représentation unique mais à Dax, ce sont deux spectacles par jour qui sont programmés – en une semaine, le public pourra ainsi voir seize pièces différentes. Il faut préciser que certaines d’entre elles sont accessibles gratuitement, et que le prix des places pour les spectacles payants est de 10 euros – 5 pour les moins de 12 ans. Ce sont des trarifs très avantageux pour le spectateur – on peut tout voir pour 70 euros – qui témoignent de la volonté politique de la Mairie de Dax de mettre le théâtre vraiment à la portée du public. Je tiens à saluer cette volonté, à laquelle je dois une très grande liberté de programmation puisque mes choix ne sont pas soumis à quelque « obligation de recette » que ce soit. Le festival est financé par une subvention annuelle votée par la mairie ; les recettes alimentent un « pot commun », mais leur montant ne conditionne pas la tenue du festival suivant. L’on accorde plus d’importance à l’indice de satisfaction du public – et des élus, bien évidemment… -, à l’écho que la presse donne au festival et à la qualité des pièces qu’aux chiffres. C’est un contexte très agréable pour un directeur artistique (rires)…
Depuis combien de temps êtes-vous chargé de la programmation à Dax ?
Depuis trois ans. J’ai succédé à la comédienne Carole Bouillon, qui est une amie. Elle m’appelait souvent pour me demander si je pouvais lui indiquer des spectacles susceptibles de figurer à l’affiche du festival de Dax. Et quand elle a souhaité renoncer à sa charge de directrice artistique parce qu’elle était trop occupée, elle a proposé mon nom à la Mairie de la ville. J’ai rencontré le maire, l’adjointe à la culture, je leur ai expliqué quelles étaient mes possibilités et mes intentions – leur faire découvrir un théâtre qui ne serait pas forcément celui des vedettes et des gros poids lourds parisiens. Nous avons convenu de tenter l’expérience une fois. Elle a été concluante, les élus et moi nous sommmes très bien entendus et, du coup, je suis resté directeur artistique du Festival de la Comédie de Dax.
Le Festival se déroule en dehors des grands créneaux de l’été. Cela n’est-il pas nuisible à sa fréquentation ?
Non, pas du tout – je dirais même au contraire puisqu’au début du mois de juin, les « concurrences festivalières » sont moins redoutables. De plus, Dax n’est pas une ville touristique mais une cité qui a bâti sa richesse sur le thermalisme. Ce ne sont pas les touristes qui forment la plus grosse partie du public mais les curistes et les Dacquois eux-mêmes. Or, les cures ayant lieu tout au long de l’année, la population de curistes est toujours présente. Reste que cela a une influence sur la façon dont nous organisons les représentations. Les curistes étant soumis à des horaires de soins très réguliers et très stricts, qui commencent très tôt le matin, nous programmons les représentations de la soirée à 18 heures de façon à ce qu’elles ne se prolongent pas trop tard dans la nuit. Les cures thermales durent en général trois semaines, le festivla huit jours – les curistes qui le souhaitent peuvent donc tout voir, et le programme est communiqué à tous les établissements thermaux. Il ne faut pas croire que les curistes sont les seuls spectateurs ! Nous tâchons juste de leur faciliter l’accès aux spectacles en imaginant quelques aménagements commodes pour eux. En tout cas, le festival tel qu’il est marche très bien puisqu’en trois ans, je crois qu’on a doublé sa fréquentation – je ne revendique aucune espèce de responsabilité là-dedans : c’est uniquement la qualité des œuvres présentées qui a permis cela…
Étant à la direction artistique de deux festivals de théâtre, j’imagine que vous devez établir des passerelles entre eux…
Oui, bien sûr… Puisque je choisis des spectacles en fonction de leurs qualités, il est logique que je m’efforce de les programmer dès que je le peux – sous réserve que les comédiens soient disponibles, bien entendu. Cela dit, je dois tenir compte des spécificités de chaque festival. Par exemple, je ne peux pas me permettre d’inviter des artistes de rue à Sarlat, parce que leurs spectacles n’engendrent aucune recette et que je suis tenu de réaliser 50 % du budget en recettes – sinon le festival meurt. À Dax en revanche, si j’ai davantage de liberté financière, je ne peux pas programmer de tragédies puisqu’il s’agit d’un festival de la Comédie. Il y a tout de même de nombreux spectacles que l’on retrouve à Dax et à Sarlat, soit la même année, soit d’une année sur l’autre. Ainsi, en 2007, on pourra voir quatre pièces à la fois à Dax et à Sarlat : Nekrassov, de Jean-Paul Sartre, Les Forains, de Stephan Wojtowicz – qui a eu le Molière du meilleur auteur l’an passé pour La Sainte-Catherine -, L’Affaire Dussaert, de Jacques Mougenot et L’Illusion chronique, de Jean-Paul Farré. Printemps et Gulliver & fils, qui seront à Sarlat, était présentés à Dax l’an passé. Quant aux spectacles sarladais de 2006 que l’on verra à Dax en 2007 ils sont trois : Célimène et le cardinal, de Jacques Rampal, La Veuve rusée, de Carlo Goldoni, et Les Confessions d’un musulman de mauvaise foi, de Slimane Benaïssa.
Organisez-vous à Dax des rencontres entre spectateurs et artistes comme vous le faites à Sarlat ?
Oui, absolument : tous les matins à 11 heures le public est convié à rencontrer comédiens et metteurs en scène au Café de l’Atrium – L’Atrium, un très beau théâtre art déco, est, avec les Arènes et le Casino, un des principaux lieux du festival. Je voudrais ici signaler que depuis trois ans, à Dax, deux jurys sont constitués – l’un de professionnels, l’autre de spectateurs – pour attribuer un prix. Le jury de spectateurs regroupe tous ceux qui ont acheté un abonnement pour la totalité de la programmation. Tous les jours les jurés se réunissent et délibèrent ; ils proclament leur décision le soir de la clôture, une demi-heure environ après le dernier spectacle. En principe le choix est déjà arrêté, mais il arrive que la dernière représentation bouscule tout – c’est ce qui s’est produit en 2006 : les jurés ont été tellement emballés par la dernière pièce (Printemps, mise en scène par Jean-Luc Annaix, que l’on verra à Sarlat cette année) qu’ils lui ont décerné le prix alors qu’ils avaient prévu de le donner à une autre pièce. Il est intéressant de noter aussi qu’à chaque fois, les deux jurys ont récompensé le même spectacle.
Y a-t-il une dotation ou bien le prix est-il purement honorifique ?
Il n’y a pas de récompense financière, mais le prix reste un label de qualité pour les compagnies qui l’obtiennent, et il est prévu que deux ans après avoir été primée la compagnie pourra revenir à Dax avec sa nouvelle création – sauf s’il s’agit d’une tragédie, ce qui ne conviendrait pas à un festival de comédie (rires)…
Est-il prévu d’instaurer une telle récompense à Sarlat ?
Non. Le projet a bien été évoqué mais ce n’est pas vraiment faisable parce que le festival s’étale sur trois semaines. Pour constituer un jury, il faudrait pouvoir recruter des spectateurs qui assistent à tous les spectacles, ce qui est intenable sur une durée aussi longue – tant du côté des professionnels que du public. Nous avions aussi envisagé de créer un prix qui n’aurait concerné qu’une catégorie de pièces – par exemple celles montées par de jeunes metteurs en scène – mais nous nous heurtions encore au problème de l’étalement, car il ne nous était pas possible de les regrouper sur quelques jours. Il n’y a donc pas de prix sarladais…
Puisque nous voilà de retour à Sarlat, évoquons l’édition 2007 du Festival… Depuis quand la programmation est-elle bouclée ?
Comme chaque année, nous avons tâché de boucler la programmation avant les vacances de printemps, de façon à ce que les vacanciers et les touristes qui sont en Dordogne à ce moment-là puissent avoir le programme et envisager de revenir à l’occasion du Festival. Cela leur permet de planifier leur séjour et leurs réservations en fonction des spectacles qu’ils souhaitent voir. C’est un peu contraignant de devoir s’y prendre si tôt, d’autant que les dates de ces vacances sont variables, mais sans cela, les spectateurs potentiels que sont les estivants auraient trop de problèmes pour trouver à se loger. Établir des programmes si longtemps en amont cause parfois de mauvaises surprises – des compagnies qui se décommandent au dernier moment, des comédiens malades… etc. Étant donné que le Festival emploie environ 150 comédiens et techniciens, on n’est jamais à l’abri d’un accident, d’une défection imprévue… Mais ce sont les aléas inhérents aux spectacles vivants ; quand il s’agit simplement de changer un accrochage de tableaux sur des cimaises, c’est nettement plus facile à gérer (rires) !
Justement, quels sont les « filets » dont vous disposez en cas de gros pépin ?
Si la défection survient la veille ou l’avant-veille du jour où devait avoir lieu la représentation, cela se solde par une annulation. Mais quand nous sommes prévenus suffisamment à l’avance, et s’il s’agit de petites formes, je tâche de remplacer le spectacle prévu par un autre. Cette année par exemple, j’avais d’abord programmé Comic Symphony, de Marc Jolivet, mais il a déclaré forfait, et j’ai alors demandé à Michel Galabru s’il pouvait venir avec Turcaret. Ces changements ont évidemment des répercussions : quand ils ont lieu alors que tous les programmes sont imprimés, les bénévoles doivent coller des papillons correctifs sur tous les dépliants… Presque tous les ans il y a des modifications de dernière minute – mais je touche du bois pour que cette année le programme actuel reste valable jusqu’à la fin du Festival !
Ce programme est consultable sur le site de l’association qui gère et organise le festival, mais peut-être pourriez-vous nous en donner un avant-goût commenté ?
Avec plaisir… Je précise tout d’abord que l’organisation du Festival et sa « ligne artistique » demeurent inchangées : il y a un spectacle différent à l’affiche chaque jour, en divers endroits de la ville – Jardin des Enfeus, Place de la Liberté, Abbaye Sainte-Claire et Jardin du Plantier. Comme nous en avons l’habitude, nous nous sommes efforcés de panacher, en les alternant, les œuvres classiques et contemporaines, les petites formes et les spectacles plus ambitieux, le comique et le tragique… Outre les spectacles qui auront d’abord été joués à Dax et dont nous avons déjà parlé, il y aura, entre autres, trois « poids lourds », qui seront représentés sur la grand-place : Les Fourberies de Scapin – une pièce classique jouée des milliers de fois depuis le XVIIe siècle, mais que l’on découvrira à travers le regard d’un jeune metteur en scène de 23 ans, Arnaud Denis -, La Java des mémoires – reprise d’un spectacle monté par Les Balladins en Agenais qui a connu un grand succès il y a une dizaine d’années et qui travaille sur la mémoire collective à travers les chansons, depuis le Front populaire jusqu’à la Libération et, enfin, Turcaret, mis en scène par Michel Galabru, un immense comédien que j’aime beaucoup. Turcaret est une pièce de Lesage, que l’on monte assez rarement, et dont les deux maîtres thèmes sont l’argent et le pouvoir. Comme nous vivons dans un monde régi par la finance, j’ai trouvé intéressant de faire entendre au plus grand nombre ce texte du XVIIIe siècle qui comporte énormément d’échos avec notre société.
À côté de cela, on pourra aussi découvrir trois adaptations scéniques d’œuvres littéraires non théâtrales : Le Tour du monde en 80 jours mis en scène par Sébastien Azzopardi – qui a monté cette saison à Paris L’Éventail de Lady Windermere d’Oscar Wilde et qui a eu trois nominations aux Molières – Le Petit Prince, d’Antoine de Saint-Exupéry, monté par Jean-Paul Ouvrard, et Passion simple d’Annie Ernaux, adapté par Zabo. Ces spectacles sont passionnants par ce qu’ils montrent de la capacité d’une troupe à fabriquer du théâtre à partir d’œuvres qui ne sont pas écrites pour la scène.
Mais je n’ai évoqué là qu’un petit échantillon du Festival qui propose, en tout, 19 spectacles…
L’an dernier, vous nous confiiez que vous teniez à ne pas vous cantonner dans une position de simple programmateur et que vous aimiez vous retrouver « sur le terrain », aux côtés de vos camarades. En 2006 vous donniez la réplique à Jean-Daniel Laval dans Jacques le Fataliste, cette année vous mettez en scène Nekrassov – qui est aussi joué, rappelons-le, à Dax. Pourriez-vous nous présenter plus en détail cette pièce ?
Il s’agit d’un texte assez peu connu de Sartre ; c’est la seule comédie qu’il ait écrite. Elle n’a été jouée qu’à deux périodes, en 1956 et en 1968, pour quelques repésentations seulement à chaque fois. Je présente ce spectacle en festival avant de le reprendre à Paris, au Théâtre 14, à partir du mois de septembre, et j’espère qu’ensuite elle poura tourner. C’est une pièce qui se situe en 1956 – date à laquelle Sartre l’a écrite – et qui ambitionne rien moins que de faire rire à partir de l’antagonisme entre communisme et anticommunisme pendant la Guerre froide… Il est évident que ce qu’elle pouvait avoir de brûlant par rapport à l’actualité de l’époque n’est plus perceptible, mais je pense que l’on peut rire de tout ce qu’elle offre de vaudevillesque, de « mots d’auteur » et de répliques bien troussées dont certaines font penser à Anouilh ou à Guitry. J’ai voulu la monter comme une simple comédie, sans prétendre délivrer quelque message que ce soit – c’est au spectateur de le déchiffrer… D’ailleurs, la pièce peut se comprendre à plusieurs niveaux : on peut se contenter de la recevoir comme un spectacle satirique, ou bien être sensible à sa dimension politique. J’aime beaucoup travailler des textes oubliés d’auteurs connus, comme celui-ci, ou bien des pièces d’auteurs eux-mêmes tombés dans l’oubli, tel Charles Collet, un libertin du XVIIIe siècle.
On se souvient que l’an passé il y avait eu quelques problèmes avec les riverains de l’Abbaye Sainte-Claire pendant la représentation de Célimène et le cardinal. Cela a-t-il conduit à des modifications dans la conception du programme de cette année ?
Oui : de façon à limiter les gênes occasionnées aux habitants, nous avons déplacé trois des spectacles qui étaient initialement prévus à l’Abbaye, deux au Jardin des Enfeus et le troisième au Jardin du Plantier. Je tiens à préciser que l’incident auquel vous faites allusion n’est pas monnaie courante : la majorité des riverains font en général très bon accueil au Festival, et ils reçoivent systématiquement des invitations pour les pièces qui sont jouées à proximité de leur résidence – étant entendu que cette offre n’a d’intérêt que pour les gens qui sont déjà sensibles au théâtre…
Cela dit, je pense que la diversité des spectacles permet à des publics très différents de trouver leur bonheur. À Dax comme à Sarlat, nous proposons non pas du « théâtre pour tous », mais du « théâtre pour chacun ». Il ne reste plus, aujourd’hui, qu’à prier pour que tout se passe sans encombre, que la météo soit clémente, que les sepctateurs soient nombreux… et heureux !
Informations et réservations :
Festival de la Comédie de Dax – Du samedi 2 juin au samedi 9 juin 2007
Régie municipale des Fêtes et des Spectacles
L’Atrium 1
Cours Foch
40100 Dax
Tel : 0 558 909 909 – et un site internet
Festival des Jeux du théâtre de Sarlat – Du 18 juillet au 5 août 2007
B.P. 53
24202 Sarlat cedex
Tel : 05 53 31 10 83
Fax : 05 53 30 25 31
Courriel : festival@festival-theatre-sarlat.com – et un site internet
Interview réalisée par isabelle roche le jeudi 17 mai 2007 du côté des Filles du Calvaire… |
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