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Giles Milton, Samouraï William

L’étonnate odyssée d’un Anglais du XVIIe siècle, marin aguerri, qui devint conseiller privilégié du shogun Ieyasu

English men in Japan

William Adams est l’un de ces aventuriers des mers qui, aux XVIe et XVIIe siècles, bravaient sans relâche les difficultés de navigation et les conditions précaires d’existence à bord des navires. Que ce fût par goût de l’aventure, par souci d’approfondir des connaissances parcellaires ou par attrait pour d’hypothétiques richesses, mus aussi par les ambitions économiques et politiques de leurs nations, nombreux étaient ceux qui osaient affronter mers et océans inconnus. Les contrées lointaines, outre les richesses dont elles étaient censées regorger, devenaient, au fur et à mesure qu’elles étaient explorées, des territoires stratégiques où se cristallisaient les rivalités opposant les Etats européens.

Une guerre commerciale sans merci – doublée d’une lutte incessante entre catholiques et protestants – liguait les Anglais, tour à tour alliés puis ennemis des Hollandais, contre les Espagnols et les Portugais. C’est dans ce contexte-là que William Adams, arrivé en 1600 à bord d’un vaisseau hollandais, le Liefde, vécut au Japon jusqu’à sa mort. Il était le premier Anglais à poser le pied sur ce territoire, où jésuites et franciscains s’efforçaient déjà de répandre leur foi. Mais ce statut de pionnier n’aurait certainement pas suffi à donner à cet homme l’aura qu’il avait encore auprès des Japonais au siècle dernier… il a surtout été l’ami et le confident, le protégé du shogoun Ieyasu Tokugawa, qui l’estimait au point de l’anoblir. Cette position privilégiée lui permit d’être l’irremplaçable trait d’union entre ses compatriotes qui accostèrent au Japon quelques années plus tard, et le maître du pays.

Etonnante aventure que celle de cet Anglais modeste, qui connut très tôt la dureté de la vie à bord des navires – et que Giles Milton retrace dans ce livre. Ouvrage étonnant lui aussi, atypique, qui se démarque à la fois du documentaire historique, de la biographie, et de la transposition romanesque d’une odyssée hors du commun. L’auteur évite l’âpreté du premier en réduisant au minimum l’appareil critique mais sans pour autant renoncer à l’érudition – toutes les sources sont mentionnées en fin de volume, non pas à travers une liste bibliographique sans âme mais au sein d’un texte commentant les conditions de rédaction, l’état actuel des documents…etc. Quant à réduire ce livre à une biographie de William Adams, ce serait abusif : la vie de William Adams, pour exceptionnelle qu’elle soit, est plutôt un axe à partir duquel sont évoqués un pays et sa culture – le Japon – un réseau naissant et fragile de relations commerciales, toute une époque aussi où l’enthousiasme des grandes découvertes se double de revendications économiques et territoriales. Enfin on ne saurait qualifier Samouraï William de roman tant ce terme exhale l’approximation facile et les libertés prises avec l’Histoire à seule fin de séduire un lecteur paresseux.

Pourtant Samouraï William se lit aussi aisément qu’un roman. L’auteur est en effet parvenu à mettre en récit une somme considérable de documents – lettres, journaux intimes, livres de bord, ouvrages didactiques… etc. – en utilisant des techniques de composition propres au roman. Par exemple il prend soin de modaliser les incises qui suivent les citations : les scripteurs supputent, craignent, redoutent, s’emportent… au lieu de simplement noter, écrire ou mentionner. Il sait aussi reprendre à son compte les descriptions et les indications que lui ont fournies les documents étudiés, les intégrant à son récit comme s’il avait lui-même été témoin de ce qu’il rapporte. Et en agrémentant son texte d’anecdotes cocasses ou particulièrement cruelles, en ménageant un suspense judicieux lorsque les situations tournent à l’aigre, il confère à son ouvrage cet attrait que l’on a coutume de ne trouver qu’aux romans.

 Giles Milton nous offre là un compromis habile et attrayant entre le document historique, le récit de voyage et le roman, où l’érudition est dispensée sans compter mais en toute légèreté, fondue dans une narration vivante et passionnante. Ses scrupules d’historien s’accompagnent d’un évident talent de romancier – talent que l’on peut découvrir dans ses autres livres traduits en français, La Guerre de la noix muscade et Les Aventuriers de la reine, tous deux publiés aux éditions Noir sur Blanc.

isabelle roche

     
 

Giles Milton, Samouraï William (traduit par Anne-Marie Hussein), Noir sur blanc, 2003, 384 p. – 23,00 €.

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Les Aventuriers de la reine à l’assaut du Nouveau Monde

Voilà un essai historique tout parcouru d’un souffle digne des meilleurs romans d’aventure

Tel un roman, le livre commence par l’évocation d’un vieux document rescapé des siècles : une carte, d’origine incertaine, mais sur laquelle un de ses propriétaires, sir Humphrey Gilbert, a apposé sa signature. Une carte qui, en 1582, était censée reproduire le tracé le plus précis du monde connu à l’époque. Rapidement, au fil du premier chapitre, l’auteur retrace les diverses expéditions anglaises menées vers le Nouveau Monde depuis sa découverte – suite d’échecs plus ou moins désastreux mais qui permirent néanmoins de rapporter suffisamment d’informations pour maintenir un certain intérêt à l’égard de ces contrées dont on ne savait encore rien ou presque – jusqu’à l’entrée en scène de sir Walter Ralegh, dont le projet colonial constitue l’axe du livre. Car sir Ralegh ambitionne rien moins que de coloniser le Nouveau Monde, et non plus seulement d’organiser de fructueux échanges commerciaux. Alors favori d’Elizabeth, il a l’entier soutien de la souveraine, et les premiers colons baptiseront leur nouveau territoire Virginie, en l’honneur de la « reine vierge »

Dès lors sont déployés l’un après l’autre les volets d’une incroyable épopée que Giles Milton peut raconter tout à son aise grâce à l’abondance des documents écrits parvenus jusqu’à nous. Et c’est avec un vrai talent de romancier qu’il exploite cette manne : enthousiasmes et déceptions, traversées successives, préparation des navires, recrutement des futurs colons, nomination des capitaines, drames, naufrages et batailles… sont narrés avec entrain, sans que jamais le rythme fléchisse sinon pour glisser ici et là quelques portraits saisissants, des scènes cocasses – sir Richard Grenville, par exemple, mettant un point d’honneur à toujours se faire servir ses repas dans de la vaisselle fine alors même que les provisions à bord sont pourries et infestées de vermine… – ou inattendues.

C
ette verve narrative qui n’a pas grand-chose à envier aux meilleurs romans d’aventures maritimes n’enlève rien à la dimension pédagogique de l’ouvrage, qui propose notamment un étonnant panorama des mentalités du moment. On apprend ainsi que la « gloutonnerie » était déjà au XVIe siècle un véritable problème de santé publique, que le tabac passait chez beaucoup de ses premiers adeptes pour la panacée universelle tandis que d’autres critiquaient l’engouement dont il était l’objet… et l’on est surpris de découvrir que les Indiens ne furent ni massacrés ni asservis d’emblée. Au contraire : les partisans de la colonisation de l’Amérique préconisaient de les traiter avec douceur, de chercher à se concilier leurs bonnes grâces et, surtout, de s’efforcer de communiquer avec eux, allant même jusqu’à prôner les mariages mixtes. Ce n’est certes pas question de pure philanthropie – il s’agit à terme de transformer les indigènes en clients de l’Angleterre – mais un puissant intérêt scientifique et humain n’en est pas moins à l’œuvre ; ainsi le savant Thomas Harriot s’astreint-il à décrypter la langue des indigènes – l’algonquin – afin d’en établir un lexique et une grammaire.

 

Aussi éloigné de la biographie romancée que de l’essai historique bien assis sur une somme de documents soigneusement présentés et exploités, Les Aventuriers de la Reine reste un véritable livre d’histoire : on se familiarise avec la chronologie des événements, avec les enjeux diplomatiques qu’implique chaque expédition et l’on a au passage un aperçu assez précis de l’état des connaissances scientifiques de l’époque. Refusant à son livre ce qu’une succession d’analyses rigoureuses et érudites aurait eu de rébarbatif, et sans pour autant se soustraire à une obligation d’exactitude, de précision, Giles Milton a choisi de mettre en récit les aléas qui marquèrent les premières expéditions coloniales anglaises vers le Nouveau Monde en empruntant davantage à l’art du romancier qu’à la méthode de l’essayiste. Ainsi achève-t-on ce livre plus riche d’un incontestable savoir tout en ayant tremblé autant qu’un lecteur de Robinson Crusoë ou de L’Ile au trésor au plus fort des tempêtes ou des batailles navales, tandis que craquent les navires et que tonnent les canons.

isabelle roche

     
 

Giles Milton, Les Aventuriers de la reine à l’assaut du Nouveau Monde (traduit par Anne-Marie Hussein), Noir sur blanc, 2002, 384 p. – 22,00 €.

 
     
 
 

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