Un roman émouvant qui nous entraîne dans un monde atemporel, noyé de neige, où prévalent les préoccupations de base
Un évadé, Paul-Quentin, alias Jean Martinez, de son vrai nom Paul-Quentin Wolfe, 39 ans, visage asiatique, arrive dans le petit village de Pierrefroide, là où tout autour, le climat montagneux décide de la vie et de la mort de ceux qui suivent leur destin ici, dans ce pays des solitaires. Cet homme condamné à huit ans de détention, a tué un vigile au cours de son évasion. Il fuit à travers de vieilles forêts, alors qu’une terrible tempête de neige s’abat dans les grands espaces vides de la Lozère. Risquant sa peau, il tente de joindre le nord. La neige devient à la fois sa complice et son bourreau ; elle dissipe ses traces mais complique et met en péril sa tâche. Il s’enfonce dans les grands espaces déserts du Massif Central où, croit-il, personne n’aura l’idée de le poursuivre et de l’attraper. Paul-Quentin se propose d’y retrouver Kochko, un vieil ami boxeur, à qui il a sauvé la vie jadis. Kochko devrait pouvoir le cacher et le nourrir un bout de temps, jusqu’à ce qu’il reprenne des forces et puisse partir définitivement pour l’Espagne, d’où il devrait s’embarquer ensuite pour l’Amérique du Sud.
Mais Kochko est mort. Paul-Quentin sera accueilli et guidé par un ami de Kochko : Marcel Bichon, l’idiot du village, ancien aide-boucher, devenu entre temps le fossoyeur de Pierrefroide, homme à tout faire… Etonnant personnage qui attend, dans ses insomnies, l’événement qui va ensorceler son existence : atterrissage d’un aéronef de cristal échappé du cœur de la galaxie, réveil d’un volcan éteint depuis dix mille ans, chute d’une météorite qui embraserait la planète et mettrait fin à la civilisation. Bichon est-il fou ? Mais qui pourrait préciser ce qui relève de la folie, au pays des vivants ?
Bichon va le conduire, sans avoir en lui une grande confiance, jusqu’à la maison de Kochko, où habite encore l’ex-amante de celui-ci, une certaine Faustine, belle jeune femme en déprime depuis la disparition inattendue de son amant.
L’imprévisible commence à surgir de toutes parts. La vie se mêle, son pouls se précipite, le temps et l’espace de la narration bousculent le fait divers, on découvre une petite glissade événementielle, favorisée, comme jamais, par des changements dans la vie de la communauté de Pierrefroide. Coups de foudre inespérés entre Kochko et Faustine, entre Bichon et une jongleuse, pluies d’images ludiques, provoquées par l’apparition au sanatorium de Chloé, la jeune jongleuse et les jeux dans la neige de quelques enfants sourds-muets. Là où le lecteur s’attend à un suspense policier, voici que font irruption des êtres étranges aux passions cachées, des personnages fragiles et cocasses comme Bichon le fossoyeur inventif ou Faustine l’ex-chanteuse d’un cabaret de la Côte.
Paul-Quentin comprendra-t-il qu’il a trouvé mieux que ce qu’il cherchait ?
Histoire de rêve ? Conte policier, ou bucolique ? Naturalisme absurde ? Des personnages moitié réalistes, moitié fantasmagoriques ?
À Pierrefroide, chacun à sa façon est à la recherche d’un bonheur malgré la rudesse de la vie. L’équilibre fragile est menacé par l’arrivée d’un prisonnier en cavale qui vient chercher refuge dans ce coin oublié de tous. Le Pays des vivants nous fait découvrir un monde atemporel où prévalent les préoccupations de base : la vie, l’amour et la mort. Rien d’autre ne guide les nécessités et les envies des personnages. Un petit arrière-goût d’ensorcellement. N’était-ce qu’un rêve diurne ? Commencé dans la neige, le roman se terminera dans la neige, d’abord créatrice de l’action, complice de l’évadé dont elle efface les traces, puis ennemie neutre, décor glacé où toute vie s’empierre lentement. Que fuient-ils tous ces hommes jetés du monde ? Le récit remonte le temps pour nous narrer les rencontres de ses actants, l’humanité et l’amitié qui fleurissent dans ces contrées oubliées du monde, l’amour qui s’y épanouit doucement, le temps qui passe jusqu’à nous faire découvrir, à travers des histoires- éventail, la fin de tout début… et le commencement de toute fin.
La fin de la narration est imprévisible… On tire sur l’amour, on tire sur la vie, on tire l’élastique de l’équilibre. C’est la fin de tout espoir d’apprivoisement imposé à ces endroits si indomptables… La meilleure interprétation du titre pourrait être : « Le pays des vivants-morts » ou « Le pays des morts-vivants », sans jamais inclure les métaphores des fantômes, mais plutôt celles des êtres qui habitent l’ultime frontière d’un soi-disant « équilibre déséquilibrant ». J.P. Milovanoff fait voir une « étincelle d’amour », une nouvelle porte narrative entrouverte à la fin de la skazka*, en envoyant le jeune journaliste chercher Faustine :
Demain je retournerai à Pierrefroide et je parlerai à Faustine. Si je lui annonce ma venue, j’ai idée qu’elle cherchera dans ses malles une de ces robes de scène qui plaisaient tant à Kochko.
Loin de toute considération de théorie littéraire, ce roman émeut. Il raconte quelque chose d’original, de profond et d’indéfini qui stimule le sensitif et l’émotionnel.
* Skazka : mot russe signifiant « histoire », « narration ».
Jean-Pierre Milovanoff, Le Pays des vivants, Grasset, août 2005, 283 p. – 18,50 €. |
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