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Entretien avec Paul Teng (Shane)

Après avoir achevé la série Shane, Paul Teng commençait à mettre en images L’Ordre impair dont le tome 1 vient de paraître au Lombard.

 

Après avoir achevé la série Shane, dont les scénarios ont été écrits par Jean-François Di Giorgio, Paul Teng se voyait proposer de mettre en images une nouvelle série, L’Ordre impair. Le premier tome, « Anvers 1585 », vient de paraître au Lombard. On retrouve dans cet album ses graphismes d’un réalisme à la fois classique et personnel, mais son trait paraît avoir gagné en puissance et son art de la composition en audace. Son dessin semble prendre plus de distance encore avec l’explicite ; plus allusif, il atteint un très haut degré d’expressivité.
Présent au Salon du livre de Paris, Paul Teng a bien voulu se plier au jeu de l’interview après une séance de dédicace, avec une gentillesse et une disponibilité dont je le remercie de tout cœur.

 

Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Paul Teng :
Je suis né à Rotterdam, où je vis aujourd’hui, et je travaille pour le Lombard, à Bruxelles. J’ai d’abord réalisé deux albums à partir de scénarios écrits par Vladimir Volkoff, l’un racontant la vie de saint Vladimir et l’autre celle d’Alexandre Nevski. Ensuite, j’ai dessiné la série Shane, scénarisée par Jean-François Di Giorgio, et maintenant, je travaille avec Rudi Miel et Cristina Cuadra sur une nouvelle série qu’on essaie de monter, L’Ordre impair.

 

Cette série se déroule sur trois époques, dont la période actuelle. C’est ta première incursion dans celle-ci ?
Oui ; je n’ai pas l’habitude du présent et pour moi, cela représentait une barrière mentale que je devais franchir. Dessiner le présent pose toute une série de problèmes parce que l’exactitude est facile à contrôler pour les lecteurs : tout le monde peut avoir des photos sous les yeux, aller surfer sur internet… Par exemple, quand tu dessines une Mercedes, il faut que ce soit vraiment une Mercedes, jusque dans ses moindres détails, et pas seulement une « sorte de Mercedes ». Je dois réunir une énorme documentation, d’autant qu’aujourd’hui, le niveau d’exigence est très élevé ; plus élevé que lorsque j’ai débuté. Le standard, alors, c’était les graphismes de Giraud. Maintenant, il y a des séries comme Largo Winch qui sont des références pour le monde contemporain. Quand on travaille sur des époques reculées, étant donné qu’on ne dispose que d’images anciennes, pas toujours très précises, on peut toujours tricher un peu, notamment en ce qui concerne les objets de la vie quotidienne (outils, vêtements… etc.).

 

On aurait pourtant tendance à penser que c’est le registre historique le plus délicat, avec toute la partie de recherche documentaire que cela implique…
Oui, c’est vrai, il y a beaucoup de recherches à faire, mais il y a quand même pas mal d’années que je travaille sur l’époque médiévale, d’abord le moyen âge russe, puis le moyen âge en France et en Angleterre, et cela m’a donné une certaine habitude. D’autant qu’il y a peu de différences d’un pays à l’autre en matière de vêtements, par exemple. La tenue vestimentaire médiévale est « standard » pour toute l’Europe, si l’on peut dire ! tandis qu’aujourd’hui, la diversité est énorme, et les modes changent beaucoup… et avoir travaillé sur les époques passées n’aide pas vraiment pour aborder la variété actuelle.

 

Comment as-tu rencontré les scénaristes de L’Ordre impair ?
Par l’intermédiaire du Lombard. Rudi avait collaboré au dernier album de Will, L’arbre des deux printemps ; quant à Cristina, c’est elle qui a eu l’idée de départ pour L’Ordre impair ; elle a parlé de son projet à Rudi, qui est un ami et ils se sont mis à deux pour écrire le scénario du premier album ainsi que le synopsis de toute la série. Ensuite, ils sont venus me voir pour me proposer le projet. A l’époque, je venais juste de terminer la série Shane – on avait décidé d’arrêter après le cinquième album. J’avais reçu plusieurs propositions mais celle de Rudi et Cristina était la seule qui combinait le passé et le présent de façon intéressante, et qui représentait un défi graphique pour moi.

 

Les deux séries ont en commun de se dérouler dans le passé – en partie seulement pour L’Ordre impair – mais contrairement à la plupart des BD à vocation historique, l’on y trouve très peu d’explications visant à situer le contexte, les événements…etc. Pourquoi une telle sobriété ?
Pour Shane, on a toujours eu pour but de créer une série d’aventure, qui ne serait ni trop explicative, ni trop documentée. On ne voulait pas d’une série dans la lignée d’Alix ou de Vasco. Maintenant, pour L’Ordre impair, cette rareté des explications relève surtout de l’effort qu’ont fait les scénaristes pour condenser l’histoire dans le premier tome afin que celle-ci reste lisible malgré la coexistence de trois époques différentes en une seule intrigue. Il y a aussi plusieurs personnages clef… et ils ont beaucoup remanié, réécrit les dialogues pour les resserrer au maximum. Je n’ai pas apporté beaucoup de changements en dessinant par rapport au scénario ; j’ai seulement proposé quelques modifications pour apporter un peu de profondeur aux personnages principaux, accuser leur caractère. Par exemple, j’ai accentué les réactions de Patrick à la mort de sa femme, je l’ai rendu plus expressif, plus torturé.

 

Comment as-tu construit tes personnages ? Avais-tu des indications très précises de la part des scénaristes ou bien est-ce ton propre ressenti qui s’est exprimé ?
C’est plutôt la deuxième option… en tout cas, il y avait peu de contraintes au niveau du scénario. Je commence par le lire, et j’ai ainsi une première idée du physique des personnages, de leur caractère. Puis en commençant à dessiner cette idée s’affine, car les traits des personnages, leurs caractéristiques physiques conditionnent aussi la personnalité qu’on va leur prêter. Ensuite, pour passer à la réalisation dessinée, j’essaie de prendre toujours en référence des personnages réels, des modèles, des acteurs… Pour Shane, c’est connu, c’est Brad Pitt qui m’a inspiré, ça m’amusait de donner ses traits à Shane ! Je me base sur des photos de magazines, mais je m’inspire aussi de mes amis, il y a quelques copains à moi dans L’Ordre impair ! cela m’évite de retomber systématiquement dans un même type physique en fonction du personnage – par exemple le type « Michel Vaillant ». Et si tout se passe bien entre le dessinateur et les scénaristes, c’est une vraie collaboration à double sens qui s’installe : le scénario donne des idées pour le dessin et les dessins influencent les scénaristes, leur inspirent certains remaniements dans leur texte et les incitent à développer tel ou tel aspect.

 

Mais j’imagine que ce type d’échange dépend beaucoup des scénaristes avec lesquels tu travailles ?
Oui, bien sûr… par exemple, avec Vladimir Volkoff, les choses se sont passées très différemment : on n’a eu presque aucun contact après qu’il m’a eu envoyé le scénario complet. On s’est vus pendant le voyage en Russie qu’avait organisé la direction du Lombard, mais après, j’étais totalement libre pour le dessin ; c’est donc ma propre vision qui s’est exprimée. Avec Jean-François [Di Giorgio], les échanges étaient déjà beaucoup plus nombreux – c’était comme une partie de ping pong d’idées… et avec Rudi et Cristina, c’est un peu pareil. Il faut dire aussi que c’est beaucoup plus facile aujourd’hui de communiquer quotidiennement grâce à Internet et aux e-mails. Quand j’ai commencé Shane, avec Jean-François, on n’avait que le fax, ou le téléphone…

 

Pourquoi avoir fait appel à deux coloristes différents pour L’Ordre impair ? je n’ai pas vraiment perçu de différence fondamentale dans le traitement des couleurs entre les parties contemporaine et médiévales…
J’ai eu exactement la même impression en première lecture… au départ on voulait vraiment instaurer une différence d’atmosphère entre les scènes médiévales et les scènes contemporaines. Mais ça n’a pas bien fonctionné, la différence n’est pas aussi marquée qu’on l’aurait voulu. Mais l’ensemble reste quand même cohérent. La prochaine fois, il faudra peut-être éclaircir les parties contemporaines et assombrir les scènes historiques…

 

Il m’a semblé que le traitement des contours noirs allait en s’accusant au fil des albums ; très légers dans les premiers tomes de Shane, ils sont beaucoup plus marqués dans L’Ordre impair…
En tout cas, ce n’est pas une évolution dont j’aie pleinement conscience ; je pense que c’est parce qu’au fil du temps je dessine plus vite, avec plus d’assurance. Au début on est prudent, on s’attache davantage aux détails dans le dessin. Et après, on prend confiance, on connaît mieux le caractère des personnages, on va plus vite, et je crois que c’est ça qui rend le trait plus robuste, plus décidé.

 

Par-delà son évolution, ton dessin continue de reposer en grande partie sur la suggestion…
Oui, je préfère la subtilité, et suggérer plutôt que de tout montrer, par exemple dans les scènes érotiques, ou violentes… je crois que la suggestion est plus forte. Et puis c’est mon style, je n’y peux rien !

 

Où en est le scénario de L’Ordre impair ? Est-il entièrement écrit, ou bien le sera-t-il par étapes ?
Ça se fera par étapes. Comme l’actualité a une part à jouer, on est obligé d’en tenir compte. Le scénario dépendra notamment de l’évolution du conflit entre l’Inde et le Pakistan, de la question du Cachemire… ce sont des régions très instables, et chaque jour il peut arriver des choses que nous n’avions pas prévues, susceptibles de faire basculer complètement certaines des idées que nous avions eues pour le scénario. C’est une contrainte, mais en même temps, c’est passionnant que de suivre de près ce qui se passe là-bas. Il y a donc un synopsis pour l’ensemble des 5 tomes, on sait le point de départ, et celui où l’on veut arriver, mais de l’un à l’autre la route est loin d’être droite… les scénarios seront retravaillés au fur et à mesure.

 

Quel est le calendrier prévu pour la publication des tomes suivants ?
En principe, la cadence est de un album par an. Et là, on a déjà vingt planches prêtes pour le deuxième tome. Mais on est aussi en pleine discussion à propos du scénario et des événements qui vont devoir trouver leur place sans nuire à la cohérence de l’ensemble – par exemple le rôle du livre : il faut qu’il soit clair, et en même temps qu’il reste mystérieux jusqu’à la fin.

   
 

Propos recueillis par isabelle roche le samedi 20 mars au Salon du livre sur le stand des éditions du Lombard.

 
     
 

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Teng & Di Giorgio, Shane

Entre fidélité et trahison, amour et haine, Shane est une superbe épopée médiévale. Frédéric et Isabelle en parlent encore !

La série ne commence pas dans la quiétude, c’est le moins qu’on puisse dire : la première planche de L’Impératrice sauvage plonge au cœur d’une tempête au large des côtes bretonnes, en l’an de grâce 1120. A bord du navire en détresse : l’héritier du trône d’Angleterre, accompagné des plus hauts représentants de la noblesse du royaume. Et puis c’est la catastrophe : trompés par les feux de naufrageurs, le vaisseau s’écrase contre les récifs. Bilan du drame : un seul survivant, Shane, un mercenaire irlandais attaché au service du souverain anglais. C’est donc autour des problèmes posés par la succession du roi d’Angleterre Henri 1er, fils de Guillaume le Conquérant, que va s’organiser l’intrigue de base de la série – intrigue qui, avec quelques digressions buissonnières, va nous tenir en haleine durant cinq albums.

La mort de son unique héritier mâle place en effet le souverain dans une situation délicate : il doit désigner un nouveau successeur. Mais il ne peut se résoudre au choix qui se présente à lui : son autre fils est un bâtard, et Etienne de Blois, gentilhomme fort bien placé dans la lice des prétendants au trône, est faible de caractère et, de plus, manipulé par son frère Henry, un ambitieux que le roi n’apprécie guère. Le roi décide alors de choisir comme successeur… sa fille Maud – décision qu’il s’autorise en vertu d’anciens documents attestant d’un précédent semblable et qui soulève un tollé parmi les barons du royaume. Maud, déjà victime de plusieurs tentatives de meurtre, est enlevée… Cadavres, complots et machinations toutes plus machiavéliques les unes que les autres se suivent et se mêlent en un rythme soutenu qui ne laisse aucun répit. D’autant qu’aux tumultes de ces intrigues de cour s’ajoute l’impossible passion que se vouent Maud et Shane. Amour, fidélité, trahison, loyauté, ambition, corruption… toutes ces valeurs contradictoires sont portées à leur paroxysme dans cette fresque médiévale qui réussit à mettre en images la violence la plus crue – et la tendresse la plus douce – sans en rien masquer mais sans exhibitionnisme déplacé.

L’on suit avec avidité toutes ces péripéties. Mais l’on ne peut s’empêcher d’être surpris par la concision des textes. Les dialogues, réduits au minimum nécessaire, sonnent parfois bizarrement – « vous vous gourez ! » dans la bouche d’un mercenaire du XIIe siècle a un effet assez inattendu, et sans aller jusqu’à un pseudo vieux français désagréablement artificiel, un registre de langue plus neutre eût été mieux adapté… Quant aux didascalies, elles brillent par leur absence ou leur brièveté, n’allant guère au-delà de « cependant… » ou « un peu plus tard… » Pas un mot ou presque pour préciser le contexte historique, si ce n’est en quatrième de couverture… L’on conçoit que le scénariste ait voulu que l’aventure et le souffle épique priment, et qu’il se soit refusé à jouer les manuels scolaires, mais il faut reconnaître qu’avoir poussé l’aridité documentaire à ce point pose parfois quelques problèmes de compréhension. Ainsi dans le premier album le roi confronté à la mort de son fils aîné dit-il n’avoir d’autre descendant mâle qu’un bâtard nommé Richard. Or à quelques cases de là, sa fille Maud est accueillie à bras ouvert par un certain Henry qui l’appelle « petite sœur ». Si cet Henry est le frère de Maud, pourquoi le roi ne le compte-t-il pas parmi les successeurs possibles ? Quelques indications concernant les liens de parenté entre les personnages eussent été bien utiles. Et l’on en dira autant du mariage de Maud avec l’empereur d’Allemagne : arrangé par son père, on en déduit qu’il s’agit d’une alliance bénéfique pour le trône d’Angleterre. Alors pourquoi Henri Ier arrache-t-il si violemment du cou de sa fille le collier qui est la marque de son rang impérial en criant que sa vue [le] blesse ?

Ces lacunes, hélas, sont constantes tout au long de la série. Reprocher aux cinq tomes de Shane de ne pas être des livres d’histoire déguisés en bande dessinée serait bien mal venu. Mais l’on ne peut que déplorer ces obscurités récurrentes qui empêchent de saisir au mieux le pourquoi et le comment des attitudes, des réactions des personnages. Le dessin n’étant pas à même de tout exprimer, et ce quel que soit le talent du dessinateur, les rapports entre certains personnages restent ainsi peu compréhensibles. Cela est d’autant plus regrettable que les vêtements, les bâtisses, les outils… tout ce qui contribue à poser une époque a été fidèlement reproduit. Et le dessin de Paul Teng, d’un réalisme à la fois classique et personnel, d’une grande expressivité, ne suffit pas à compenser les absences du texte.

Outre le minimalisme un peu excessif du texte, il est un autre point qui ne laisse pas de surprendre : la mise en couleurs. Alors que les deux premiers tomes se caractérisent par la subtilité des teintes, travaillées dans un registre plutôt pastel, le troisième tome marque un virage brutal : brusquement, les couleurs s’intensifient, brillent et claquent, frôlant la saturation surtout dans les verts… Pourquoi un tel changement ? L’on sait combien en bande dessinée tout, en matière de couleurs, fait sens – intensité, tonalités, registres chromatiques – et on reste perplexe quant à la signification de cette brillance soudaine car a priori rien dans la narration ne justifie ni n’explique ce choix…

Avec le démantèlement des comploteurs et la célébration des fiançailles de Maud avec le duc d’Anjou se concluent les deux versants du récit initié par L’Impératrice sauvage. En écrivant ce cinquième album, les auteurs ont ménagé une belle porte de sortie à leur série, qu’ils ferment avec un lyrisme un peu facile mais émouvant : la dernière case figure une arbalète fichée dans le sol, telle une stèle funéraire. D’aucuns regretteront certainement de ne pas avoir à attendre le prochain volet des aventures du beau mercenaire irlandais, mais en choisissant d’interrompre là leur série, les auteurs lui évitent cette lente dissolution dans l’inintérêt qui hélas en a fait sombrer plus d’une pourtant intronisées « culte ».

Isabelle Roche

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Shane est un mercenaire irlandais du XIIe siècle. Apparu au Lombard en 1998 avec L’impératrice sauvage, il était le seul rescapé d’un naufrage sur les côtes normandes où trouvait la mort Guillaume, le fils du roi d’Angleterre Henri Ier. Celui-ci devait alors nommer son futur successeur : afin d’éviter que le pouvoir du royaume n’échoie à Etienne de Blois, un pantin manipulé par son perfide de frère, Henry, il décidait de le confier à sa fille légitime, la belle Maud, ayant en outre l’avantage d’être la veuve de l’empereur d’Allemagne. Mandé par son père, Maud rejoignait alors la Normandie et essuyait de multiples attaques, avant de trouver refuge avec son père en Angleterre. Elle retrouvait au passage Shane, son amour de jeunesse contrarié par les choix politico-paternels.

Menés par Henry de Blois louchant sur le richissime archevêché de Canterbury, un complot de barons s’estimant lésés par la décision régalienne a néanmoins convenu de tout mettre en oeuvre pour éliminer la princesse en passe de devenir Reine d’Angleterre. Mais c’est sans compter sur la fidélité du molosse Hobbs (Thomas, le philosophe anglais quasiment du même nom méditant la chose politique au XVIe siècle apprécierait sans doute l’allusion !) et, bien sûr l’enamouré Shane, qui a déjà prouvé à sa belle que la flamme ne s’était pas éteinte entre eux. Enlevée au début du Pic de l’aigle, deuxième volet de cette saga chevaleresque paru en 1999, Maud découvre le visage d’un des barons faisant partie de ses assaillants, et Shane, tombant dans un complot ourdi par Henry de Blois, est bientôt accusé d’avoir poignardé Oldéric, un des fidèles du roi. Ne devant son salut qu’à sa force doublée de sa science des armes, Shane doit s’enfuir s’il veut prouver son innocence  : sa rencontre hasardeuse avec un des hommes de main séquestrant Maud et laissé pour mort par les sbires d’Henry va lui permettre toutefois de libérer l’élue de son coeur.

Shane doit pourtant laisser la future Reine sur le sol anglais et se réfugier en Irlande, là où il espère jouir de la sécurité suffisante pour retrouver le coupable des forfaits que Maud et lui viennent d’endurer. C’est donc en Irlande que nous retrouvons notre héros médiéval pour ses nouvelles péripéties, intitulées ici Simulacres. Invité à un mariage par son oncle Silken, Shane est malgré lui plongé dans une sombre affaire de meurtres, où deux bandes rivales décapitent leurs victimes dans l’intention de leur arracher un fol secret concernant la relique de la tête de Jean le Baptiste, dérobée lors de la prise de Jérusalem. Un véritable carnage éclate au village de Silken, une soldatesque française et un groupuscule anglais cherchant tous deux à faire main basse sur « le trésor le plus important de la chrétienté ». Shane, molesté par les Français, apprend alors que Henry de Blois commandite l’autre faction, car la relique ferait éclater la supériorité de la papauté sur la royauté et rejaillir sa gloire sur qui la possède. Il est également informé, en échange de son aide pour reconquérir « le saint suaire », de l’identité du véritable assassin d’Oldéric…

Pendant ce temps, Maud, portant l’enfant de Shane, doit se résoudre à rompre leurs fiançailles adolescentes et à se marier avec le fils du duc D’Anjou, ultime manière de mettre fin au désaccord entre les deux familles. Chevalier aussi solitaire qu’ardent, le mercenaire irlandais voit le sens de son existence s’enliser sans avoir encore pu démontrer son innocence. Simulacres, à l’instar des deux premiers épisodes nous renvoie à un douzième siècle pétri de rage et de fureur. Où les hommes encore prisonniers des moultes croyances ne conquièrent leur liberté que par la violence physique et les cabales de toutes sortes. Entre fidélité et trahison, amour et haine, Shane est une superbe épopée médiévale où affleure un travail constant sur la documentation et le détail historiques.

A partir du scénario de Di Giorgio qui épouse les méandres de la dynastie des Plantagenêt (autrement dit la lignée des rois d’Angleterre descendant du comte d’Anjou Geoffroi V), le dessinateur Teng met en scène une saga où se mélangent les visages, les vêtements et les armes d’un âge ô combien révolu mais qui retrouve grâce à nos yeux par le biais d’un récit enlevé. Où les apparents temps morts ne sont jamais que le prélude crépusculaire à de furieux corps-à-corps. Même si Maud ressemble un peu trop à Claudia Schiffer et Shane à Brad Pitt, tous deux chus dans les limbes d’une sorte de Braveheart hollywoodien avant l’heure, les personnages sont attachants et l’on prend grand plaisir à les voir évoluer en ces temps reculés que le désenchantement du monde semble épargner pour nous exposer des conditions de vie rudes et frustres où, en dépit des obsctacles, l’amitié et l’honneur demeurent des valeurs dominantes.

Toujours en disgrâce pour avoir jadis voulu défendre la princesse Maud (cf L’impératrice sauvage), le mercenaire irlandais Shane doit survivre en France en se faisant rétribuer pour sa maîtrise des armes. On lui propose cette fois-ci d’extirper la jeune Emeline d’un nid de brigands sans foi ni loi qui pillent la région depuis des mois. Pour ce faire, Shane doit s’infiltrer en compagnie du revanchard Brieg dans la troupe des voleurs afin de prévenir l’adjoint du shérif local d’une livraison sur les côtes bretonnes qui permettra d’arrêter le chef de la bande, Morchael. Le mercenaire bénéficie sur place des faveurs de la belle Albane mais est bientôt victime d’un jeu croisé de délation qui transforme les chasseurs roués en parfait gibier…

Cet épisode n’est pas le plus palpitant de la série mais il permet de confirmer la position « éthique » caractérisant ce mercenaire idéalisé qu’est Shane, préférant défendre l’amour et la fidélité envers son employeur plutôt que s’emparer d’un butin facile à dérober. Obnubilé par la passion romantique qu’il voue à la descendante des Plantagenêt, Shane affiche sa volonté de rejoindre Honfleur pour briser la disgrâce dans laquelle le roi Henry de Blois l’a autrefois plongé (voir Le pic de l’Aigle). Légèrement déformé par un langage trop contemporain pour des aventures censées se dérouler au XIIe siècle, le dessin adopte une facture classique aux couleurs crues qui convient au réalisme revendiqué par les concepteurs de ce « western médiéval ».

Le plaisir des Hyènes signe la suite et fin de ce premier cycle des valeureuses aventures de Shane le mercenaire. Accompagné d’Albane qui lui a sauvé la vie, Shane voit désormais son avenir dans le Nouveau Monde. Mais les deux tourtereaux arrivent trop tard à leur port d’embarquement : le bateau est déjà parti, avec sans doute à son bord le félon Luc de Caen dont Shane cherche à se venger. L’occasion, faisant le larron, le mercenaire retrouve en ville d’anciens camarades de combat qui l’invitent à participer au tournoi de l’année qu’organise le roi à Tournai. Soucieux de gagner quelque argent et de revoir une dernière fois Maud, la fille d’Henri 1er d’Angleterre dont il est toujours amoureux, Shane accepte et met le pied sans le savoir dans un complot orchestré par Luc de Caen et un dignitaire de l’Eglise obéissant à Henry de Blois afin d’éliminer le roi.

Les couleurs assez ternes, le graphisme pas toujours très bien léché et le choix d’expressions fort contemporaines qui détonnent dans un tel décorum contribuent à laisser le lecteur un peu sur sa faim. Mais ce Plaisir des hyènes met enfin Shane au clair avec lui-même : ni Maud ni Albane ne lui reviendront finalement et c’est seul que le mercenaire va chercher qui il est aux confins de Jérusalem – sans avoir jamais vraiment convaincu qu’il pouvait être autre qu’un simple héros de papier.

Frédéric Grolleau

   
 

 Teng & Di Giorgio, Shane, Le Lombard
-  tome 1 : L’Impératrice sauvage, 1998, 48 p. 9,45 €
-  tome 2 : Le Pic de l’aigle, 1999, 48 p. 9,45 €
-  tome 3 : Simulacres, 2000, 48 p. 9,45 €
-  tome 4 : Albane, 2001, 48 p. 9,45 €
-  tome 5 : Le Plaisir des hyènes, 2002, 48 p. 9,45 €

 
     
 

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