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Samuel Beckett, Fin de Partie (Alain Timar)

Le tarissement de l’homme poussé à son extrême, sa pourriture dénervée, sa cruauté douloureuse…

La situation : un non-lieu fait d’ordures et de murs dégradés… une île peut-être de quelque contre-utopie pourrissante… une zone sans monde qui étouffe et s’étiole serrée dans le silence effroyable d’espaces infinis… Le décor -donc- se décompose, abimé : des murs aux papiers peints arrachés, lambeaux dérisoires ; des entassements de sacs poubelles ; une mer calme, bien trop calme, pour une pareille agonie.

Les personnages ? Hamm – l’aveugle paralysé, coincé dans son fauteuil-caddie rouillé : le marteleur ; Clov – le bégayeur faible d’esprit et au pied-bot qui jamais ne pourra s’asseoir, se reposer, la victime compulsive qui ne peut se décider à s’arracher à son cercle de tourments, sans issue : le clou tordu ; Nagg et Nell, géniteurs gâteux de Hamm, enfouis dans leurs poubelles, peut-être des vieux dieux idiots. Les personnages, donc : le sadisme, le pourrissement, la décomposition – l’homme sans majuscule.

L’intrigue – pas, aucune, seulement une partie, une fin de partie, un jeu de cruauté sans issue, ou nulle autre que la mort, et sans drame donc, sans drame – oui, juste une fin de partie, pleine d’un rire tragique, une dérision qui dure sans raison. T.o.c, chasse aux puces et rats, fabriques de chiens claudiquants…

Une pièce difficile à soutenir, un jeu et une mise en scène qui nous accule aux limites du sens.

samuel vigier

   
 

Samuel Beckett, Fin de Partie
Mise en scène de Alain Timar.

à Avignon à 17h, jusqu’au 30 juillet.

 
     

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Entretien avec Colette d’Orgeval (Guide des terrasses avec vue sur le ciel)

Cécile Cornet évoque avec son auteur C. d’Orgeval Guide des terrases avec vue sur le ciel, un roman dédié à l’univers de Samuel Becket…


Colette d’Orgeval fait paraître Guide des terrasses avec vue sur le ciel aux éditions Nicolas Philippe, roman dédié à l’univers de Samuel Becket et aux oiseaux qui le traversent. Rencontre avec l’auteure et Céline Cornet, ayant consacré un mémoire de l’Institut d’Arts plastiques et d’esthétique à cette thématique.

 

Céline Cornet, sur quoi portait votre mémoire de l’Institut d’Arts plastiques et d’esthétique de Paris-I Sorbonne ?
Céline Cornet :
J’avais besoin de faire une maîtrise en esthétique et en philosophie de l’art ; j’avais déjà commencé à peindre des oiseaux, ressentant une fascination pour le presque rien d’un oiseau qui passe dans le ciel. C’est alors que j’ai lu Murphy, premier roman de Samuel Beckett et intuitivement j’ai trouvé qu’il y avait là quelque chose qui me rapprochait de cette idée du vol de l’oiseau. J’ai ensuite creusé cette intuition en lisant tous les autres textes de Beckett pour voir ce qu’il en était de l’oiseau dans son œuvre.

Pour vous, cette image de l’oiseau est à rapporter à la trace, au geste esthétique ?
Céline Cornet :
L’oiseau est en effet le seul être qui vit, se meut et respire et ne laisse aucune trace de son passage. D’où le lien avec la trace en peinture.

Colette, qu’avez-vous retenu de ce mémoire, comment y avez- vous eu accès et en quoi a-t-il pu vous influencer pour le Guide des terrasses… ?
Colette d’Orgeval :
Ces deux ouvrages ont été élaborés chacun dans leur contexte, sans que nous nous connaissions, et c’est une amie à qui j’ai fait lire mon manuscrit du Guide qui m’a transmis le mémoire de Céline, lequel m’a confirmé dans ma propre intuition, en tant que lectrice, de la place de l’oiseau dans les textes de Beckett. L’histoire de mon livre est avant tout celle d’un lieu, puisque je me suis installée dans un immeuble en face de celui où Beckett lui-même avait emménagé à partir de 1960 jusqu’à la fin de ses jours. J’ai découvert avec émotion que c’est là qu’il avait vécu, écrit un certain nombre de ses œuvres, j’ai pu en parler avec des gens du quartier qui étaient des anciens et l’avaient connu, l’avaient vu vivre, évoluer sur le boulevard interminable en bas de son immeuble… j’ai eu alors envie de me replonger dans ses livres, retrouver le personnage à travers ses écrits et ses lieux.
Chacun de nous est selon moi un « être global », alors je me suis demandé pourquoi il était venu se « nicher » là : en effet à l’époque où l’immeuble de Beckett a été terminé (en 1960), c’était le premier immeuble moderne du boulevard Saint-Jacques qui dressait tous ses étages au-dessus de multiples petites maisons basses. Il se trouve que Beckett, avec son argent, avait choisi d’aller se fourrer là, dans un appartement qui donnait d’un côté sur le boulevard, et de l’autre, à l’arrière, sur la prison de la Santé ! Son bureau dominait ainsi la cour où se promenaient les prisonniers dont les cris, comme le racontent les biographes de Beckett, perturbaient grandement le romancier… Beckett était hanté par le bruit généré par ces détenus, or il n’avait pas pu ne pas remarquer la présence de cette prison lors de l’achat son appartement ! J’ai donc considéré cet immeuble comme choisi à dessein, se dressant au-dessus d’hommes en prison et en souffrant, ne pouvant pas bouger de là ou s’échapper, comme l’écho de ce qu’on trouve partout chez les personnages de Beckett : la souffrance de la condition humaine, l’alourdissement, l’impuissance, la faiblesse… Dans un de ses livres, il a d’ailleurs souligné qu’ « écrire, c’est finalement pousser un cri dans le vide » !
Céline Cornet :

Nos deux textes sont partis de la même intuition, une intuition poétique, et déjà cela me paraît beaucoup – même si l’interprétation, le choix de chacune de nous deux pour traiter ce thème personnel ont ensuite varié, indépendamment donc d’une sensibilité commune au départ. Qui dit oiseau dit cage, double symbole de la condition humaine et, pour citer Céline, d’un « lieu privilégié d’un retrait du monde ». Pas facile de penser la cage comme condition de la réalisation de soi …

Certains personnages chez Beckett partent en errance, finissent par se rendre compte que de marcher finit toujours au même point, donc que le meilleur moyen en vue de la quête entreprise est l’immobilité, même si l’immobilité conduit plus ou moins rapidement à la catastrophe. Dans les films de Beckett aussi, on voit ses personnages fermer progressivement tous les accès à l’extérieur, se renfermer dans leur chambre où il se couchent. La cage comme condition d’accès à l’immobilité devient alors un moyen de s’évader, le meilleur moyen d’être (en) soi…
Colette d’Orgeval :
Dans le Guide…, le personnage central, Becquète, joue à être oiseau parce que cela correspond à cet espoir de sortir de la cage dont parle Céline. Sortir de la cage qu’est la condition humaine, ce serait sortir de l’espace temps qui limite l’homme de tous côtés. Il faut une cage pour pouvoir en sortir et s’en aller.

Le perroquet, figure la répétition au sens langagier, joue un rôle récurrent et clef dans l’oeuvre de Becket (où il symbolise selon Céline un « emblème heureux du non-sens verbal ») mais on n’en trouve pas l’écho dans le Guide… ?
Céline Cornet :
La plupart des héros de Beckett mettent en relief une sorte de trou noir entre le signifié et le signifiant, font sens vers une exigence de simplification du discours. Ce que souligne à l’envi le perroquet qui utilise des mots – mais dépourvus de sens. Voilà qui rend la recherche même du sens bien dérisoire, telle que l’appréhende Beckett via l’oiseau. Le langage commun, la communication ordinaire s’en trouve ridiculisés. Au contraire du perroquet dévalorisé ici, l’oiseau qui est dans le ciel, dans son trajet, est le véritable détenteur de la Parole. Les personnages chez Beckett sont toujours à la recherche de la mère. C’est tout le problème de l’enfant qui après sa naissance est constamment « dit » dans les mots de sa mère, qui interprète à sa manière chacun de ses silences ou de ses gestes. Je crois que les héros beckettiens entament leur recherche car ils souhaitent ne plus être dits dans les mots d’une autre. Tant que ce parcours vers la mère n’est pas accompli, mieux vaut être silencieux !
Colette d’Orgeval :

Dans le Guide…, Becquète est un perroquet, même si ce n’est pas dit ! C’est un humain déguisé de manière ridicule en oiseau, qui va faire des simulacres d’envol et de vol devant la foule. Michaël, le narrateur, prétendra qu’il l’a vu s’élever au-dessus du macadam mais l’on ne saura jamais si c’est vrai, car cela fait partie de son délire. Becquète en vérité se conduit comme un vieux perroquet, qui est près de sa fin…. sans rapport avec la gente féminine hormis sa nièce ! Il est en « fin de partie », si l’on peut dire, en reprenant un des titres de Beckett… Cela reprend la réalité de la fin de la vie de Beckett, ce dernier étant mort quelques mois seulement après sa femme Suzanne – qui jouait depuis longtemps pour lui, il est vrai, le rôle de mère !

Les principaux personnages de Becket projettent leur avenir dans un devenir oiseau qui leur permettrait enfin de se ménager une place dans le ciel. Cela signifie-t-il que tout ce qui est terre à terre, pragmatique, confortable est de trop ? Faut-il y voir aussi une possibilité de retraite vers un « ciel » – intérieur cette fois-ci – au risque de l’aliénation ?
Céline Cornet :

Il est visible que notre société est de plus en plus saturée de codages, d’effets réflexifs sur toutes choses. Selon Samuel Beckett tel que je l’interprète il faudrait faire encore un pas, quitte à ce qu’il nous fasse trébucher. La seule issue serait donc de regarder en l’air pour interpréter les vrais signes. Ce qui ne signifie pas pour autant s’éloigner de l’humain puisque je crois que Beckett faisait au contraire tout pour se rapprocher de l’Homme – on l’a vu avec son engagement pendant la guerre et auprès des hôpitaux ensuite…
Colette d’Orgeval :
Il s’agit en fait de regarder en l’air et à l’intérieur de soi car chacun peut trouver à sa manière son propre « ciel intérieur », peut-être en se tournant vers la poésie…

Mais en même temps votre héros Mickaël se tourne finalement plutôt vers la description de ciels extérieurs, ceux-là même d’où l’on peut voir les « terrasses » comme les oiseaux : cela signifie-t-il l’échec topographique de votre héros à saisir ce ciel intérieur dont vous parlez ou qu’il y a une transmutation de cette intériorité idéale à travers le parcours exhaustif de ce que les volatiles peuvent voir, eux qui nous surplombent ?
Colette d’Orgeval :
Difficile de répondre à cette question !

Mickael réussit-il à dépasser la dimension introvertie qui le caractérise et à s’intégrer à la communauté dont il ne partage pas les mots, ne retombe-t-il pas d’autant plus haut qu’il dégringole in fine de cette condition d’oiseau à laquelle il a su s’élever (par le truchement de l’oncle Becquète) mais qui n’est pas la sienne ?
Colette d’Orgeval :
Ce qu’il y a d’affreux, c’est que c’est plutôt cette seconde voie qui le caractérise, j’en ai peur…
Céline Cornet :
Je dirais quant à moi, pour être plus optimiste que Colette, que tout envol est bon à prendre, même s’il comporte une phase de risque.
Colette d’Orgeval :
Mickaël, en fait, se résout à devenir « la cage de l’oiseau » : habité par Becquète, une fois celui-ci mort, il en devient ainsi le factotum. Un peu l’image de l’auteur qui n’arrive pas, comme cela, dans un monde où il ne s’est rien passé, qui est toujours le factotum du passé et s’il l’admet, s’il reconnaît ses pères, peut alors trouver son propre envol. Nous sommes d’abord prisonniers : il faut le reconnaître, regarder en face nos entraves, les analyser afin de pouvoir ensuite nous en libérer…

Il y a un côté aigle chez Beckett (ce qu’attestent les photographies utilisées par Céline dans son mémoire pour accompagner ses thèses), si chacune de vous devait être un oiseau, lequel serait-ce ?
Céline Cornet :
Un de ces oiseaux qui planent, qui battent des ailes beaucoup, pas une mouette parce qu’elle crie trop, peut-être un rapace ?
Colette d’Orgeval :
Oiseau, je ne pourrais pas car j’ai le vertige… à moins que ce ne soit un oiseau dans un poulailler : plutôt un oiseau « marcheur » que « voleur » dans ce cas !

   
 

Propos recueillis le 5 août 2002.

Colette d’Orgeval, Guide des terrasses avec vue sur le ciel, Nicolas Philippe, 2002, 113 p. – 15,00 €.

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