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Entretien avec Vincent Ravalec (Bois sacré)

Des Chipibos du Pérou au bwiti Gabonais, Ravalec suit les chemins du chamanisme, bien décidé à se faire initier dans chaque tradition. Les questions que se posait ce lecteur de Gurdjieff et de Castaneda y trouvent des réponses beaucoup plus vastes qui l’incitent à rendre compte de la complexité de la conscience

Enfant, il rêvait d’être un artiste, mais ses doigts se refusaient à exprimer ses visions intérieures… Impatient, le jeune Ravalec quitte le système scolaire dès quatorze ans et se frotte aux déboires de la vie active : apprenti menuisier, vendeur de bandes dessinées, assistant réalisateur, régisseur de cinéma et autres petits boulots apporteront leur matière à ses premiers manuscrits et lui insuffleront le culot nécessaire pour se tailler une place dans le paysage littéraire français. Depuis le début des années 90, l’écrivain parisien régale ses lecteurs d’innombrables nouvelles et romans révélateurs des rocambolesques dérives de la société en milieu urbain. Pour cela, il dispose d’un talent indéniable : la capacité de sublimer par un humour nerveux les pires galères en aventures initiatiques. Le succès est au rendez-vous : Prix de Flore en 94, lectorat fidèle en constante progression qui propulse ses romans dans le cercle des best-sellers nationaux.

Au tournant de l’an 2000, Vincent Ravalec entame un nouveau cycle d’écriture, caractéristique d’un regard plus universel sur l’existence. Lui qui n’avait jamais dépassé les abords du périphérique part poursuivre autour du monde les mythes de son adolescence. Des Chipibos du Pérou au bwiti Gabonais, Ravalec suit les chemins du chamanisme, bien décidé à se faire initier dans chaque tradition. Les questions que se posait ce lecteur de Gurdjieff et de Castaneda y trouvent des réponses beaucoup plus vastes qui l’incitent à rendre compte de la complexité de la conscience. Il introduit cette perspective élargie comme thème central de son projet du JEU : la possibilité d’accès à la connaissance par le biais de l’art.

Frédéric Grolleau : Tu fais paraître en même temps Les nouvelles du monde entier, tome 1 au Seuil, Wendy 2 ou les secrets de Polichinelle chez Flammarion, le poème graphique Une orange roulant sur le sol d’un parking et s’illuminant de toutes les couleurs de l’univers au Diable Vauvert. A cela s’ajoutent deux textes centrés sur le chamanisme : Bois sacré, initiation à l’Iboga (encore au Diable) et Ngenza aux Presses de la Renaissance. Cela fait beaucoup de livres en deux mois d’intervalle et, tandis que nombre d’individus s’insurgent contre la masse de livres qui sort chaque mois, tu indiques dans un petit mot destiné à la presse que tu préfère concentrer ton tir d’artillerie pour être sûr de ne pas être oublié…

Vincent Ravalec : Ca ne procède pas vraiment de cette logique, même si je l’explique ainsi après coup. Il se trouve que j’aime écrire et que l’écriture me sert de support expérimental par rapport à des expérience existentielles que je mène par ailleurs. Or ces expériences se sont avérées au fil du temps de plus en plus complexes. La forme littéraire m’a ainsi permis de les intégrer et les faire partager, mais cela requérait de multiples facettes. Ce qui explique que je ne fasse pas paraître ici cinq romans : il s’agit d’un roman, d’un recueil de nouvelles, un recueil de poésie graphique, un livre ethnologique sur une tradition de guérison africaine (accompagné d’un livre de photos sur cette même expérience, vue plus subjectivement par moi) qui renvoient à chacune de ces facettes.

En ce qui me concerne, je considère qu’il vaut mieux écrire des livres (sans qu’il y ait obligation ensuite pour les gens de les acheter ou de les lire !) que fabriquer des armes, je ne me pose donc pas la question de la quantité des oeuvres…

Au regard de cet univers qui est le tien, de l’initiation, de l’éveil à une sensorialité autre, à des univers dissemblables, comment travailles-tu pour articuler tous ces prisme-là : cela suppose de l’écriture automatique, des cahiers secrets ?

Dès que j’ai commencé à écrire, j’ai intégré l’écriture dans mon processus mental. J’écris quasiment en même temps que je vis. Au moment où je commence à écrire le livre s’est déjà cristallisé dans mon esprit. Pendant 10 ans j’ai écrit non stop toute la journée, maintenant j’écris moins, mais l’expérience aidant, j’arrive à davantage condenser mes sujets. La plupart de tes textes se déclinent autour du Jeu, de quoi s’agit-il ? Et comment les passerelles entre les divers éditeurs se mettent-elles en place ? D’un point de vue artistique, il a fallu que je me crée un outil qui soit suffisamment vaste par rapport à ce que j’avais envie de vivre et suffisamment souple pour pouvoir se moduler. Je me suis dit que j’allais faire un cycle évolutif et arborescent (en relation avec site Internet-miroir) de 12 livres car ça correspondait aux 12 mois terrestres et en même temps au calendrier solaire de l’univers. Comme j’étais isolé dans les expériences que je menais, focalisé sur ce que je voulais découvrir, j’avais envie d’être en contact avec du monde et de voir ainsi comment d’autres gens avaient perçu leurs propres expériences à ce propos !

De manière plus prosaïque il se trouve que tous les éditeurs que je connais sont des gens de qualité, qu’ils ne me considèrent pas comme une personne vénale et que je fais des efforts pour intégrer leurs impératifs de rentabilité économique à eux, ce qui explique que le Jeu puisse se ramifier entre divers éditeurs. On essaie tous ensemble de naviguer de la manière la plus judicieuse possible dans le système qui se présente à nous. De toute façon le livre de poésie n’a pas pour vocation, tant il est particulier, de devenir un best seller mondial ; on sait que les recueils de nouvelles ne cartonnent pas toujours au box-office. J’espère en revanche que Wendy aura une belle carrière littéraire, non pas parque j’ambitionne de devenir riche et célèbre mais parce que j’ai essayé d’y mettre beaucoup de moi-même par rapport à des choses que j’avais perçues.

Est-ce que tu te définis aujourd’hui, au nom de toutes tes expériences, comme une sorte d’initiateur ? de pédagogue de cet univers-ci ?

C’est une position assez délicate ; j’ai lu adolescent nombre de livres ésotériques (la collection « L’aventure mystérieuse » chez J’ai Lu) qui m’avaient interpellé mais dont le contenu me paraissait tarabiscoté. Et je suis allé sur place, avec les souvenirs que j’en avais, voir si c’était vrai ou pas. J’ai pris mon balluchon et fait mon Tintin… Par exemple je me suis rendu à Nasqa afin de vérifier de mes propres yeux si oui ou non des extra-terrestres y avaient atterri ! J’ai fait beaucoup d’expériences, qui étaient tellement fortes par rapport au décodage habituel qu’on en fait avec notre « mental », que les retranscrire ensuite ne pouvait conduire qu’à du tarabiscoté et du fumeux…

Tout ce que j’avais lu était donc à la fois vrai et faux. Et je suis dans cette situation : j’ai réagencé ce que j’ai vécu avec mon propre mental – qui n’est pas forcément fait pour vivre toutes ces expériences) mais je n’échappe pas au bizarre ! Je prends donc le côté initiateur avec des pincettes, car je pense que chacun a sa propre vérité et sa propre manière d’intégrer l’expérience. Je suis donc très dubitatif sur ma capacité à transmettre cela. Les livres sont certes utiles mais il ne faut pas trop s’y référer selon moi car la vraie référence, c’est à l’intérieur de vous que vous allez la comprendre. Je ne prétends être initiateur qu’au sens où j’ai vu que la vérité existait et que je vous conseille d’aller voir par vous-même comment vous allez l’intégrer.

Comment qualifies-tu cette expérience autour de laquelle tu tournes depuis de nombreuses années ?

En voyageant j’ai pu mesurer l’épaisseur de ma candeur. J’avais une vision naïve de ce qu’était la connaissance, je croyais que je me dirigeais vers une sorte d’illumination mystique. Mais il y a de nombreuses traditions qui se sont chacune forgé des outils spécifiques au fil de l’histoire parce que le monde n’est pas le même selon les endroits de la planète. Le fondement du chamanisme au départ a reposé sur les analogies opérées par l’esprit humain avec la nature. Le concept de nature variant selon les lieux l’esprit s’est forgé des outils qui n’ont pas débouché sur les mêmes visions du monde – mais sont j’ai découvert au fur et à mesure de mes voyages qu’elles sont toutes vraies en même temps ! Face à cette multiconceptualité de l’univers on a plutôt tendance à se focaliser sur une explication alors qu’il s’agit au contraire de parvenir à intégrer ce phénomène de complexité.

Une révélation qui passe par la consommation de substances, telles l’ayahuesca ou l’iboga, censées accélérer cette ouverture de la connaissance ?

Partout où j’ai voyagé j’ai rencontré des chamans, des sorciers, des magiciens. J’ai lu dans Tintin et Corto Maltese que ces gens-là savent pourquoi on est là. Je leur ai posé la question, ils m’ont accueilli, m’ont prié de m’asseoir et m’ont demandé si j’allais être capable de supporter ce qu’ils allaient m’expliquer. J’ai fait des expériences avec ou sans psychotropes. Très franchement je n’ai pas de « goût » pour les psychotropes, ça fait 15 ans que je ne bois pas une goutte d’alcool, que je ne fume pas de tabac et que je fais de la course à pied et de la méditation. Je suis un garçon sain et je me suis dit que j’allais me faire exploser le ciboulot. Et j’ai été en effet initié à l’ayahuesca et à l’iboga. Ce sont de dures initiations qui ne sont pas évidentes à vivre psychiquement parlant. Une fois qu’on les a vécues c’est un atout mais je ne conseillerais à personne de le faire car je ne pense pas que ce soit là un miracle universel ! Ce sont des outils qu’il faut savoir utiliser à bon escient dans un cadre particulier.

Propos recueillis par Frédéric Grolleau, intro par Stig Legrand

Remerciements à l’espace Autrement (77 fbrg saint-antoine 75011 Paris) qui nous a acueillis dans son chaleureux salon de thé pour cet entretien

   
 

-  Nouvelles du monde entier, Seuil, 256 p – 18,00 €.
-  Wendy 2 ou les Secrets de Polichinelle, Flammarion, 399 p. – 20,00 €.
-  Bois sacré (avec Agnès Paicheler, Mallendi), Au Diable Vauvert, 336 p. – 21,00 €.
-  Ngenza, cérémonie de la connaissance, Presses de la Renaissance, 94 p. – 29,00 €.

 
     
 

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Vincent Ravalec, Wendy² ou les secrets de Polichinelle

Si même les Anges font acte d’ingérence dans le karma d’une adolescente, c’est qu’il doit s’agir d’une sacrée embrouille !

Le troisième pan du Jeu, formidable projet chamano-littéraire initié par Vincent Ravalec, vient ranimer les fantômes du passé afin de réécrire la vie de sa Sainte perdue au fil d’un précédent roman : Wendy Angelier.
Cette origine pourrait laisser croire qu’il s’agit juste d’un second épisode, d’une suite linéaire à la biographie de l’orpheline mystique et meurtrière couchée sur papier en 1996 : ce serait mal connaître le subtil Ravalec.
Nul ordre croissant pour ce Livre Magique mais une factorisation cosmique conçue pour vous mettre la tête au carré.
 
Celle qui en a vu d’autres’

Quand elle apprend la mort sordide de Wendy Angelier au journal télévisé, un jour d’été de ses huit ans, la petite Wendy Angelier cligne à peine un cil de ses jolis yeux bleus. Cette singularité dans la distribution des pièces sur l’échiquier spatio-temporel s’intègre plutôt naturellement dans son univers de fillette candide : cette Wendy à l’écran c’est bien elle, mais c’est aussi un Ange… Une première graine extraordinaire tombe ainsi du rosaire karmique pour s’enfoncer dans l’humus fertile d’une conscience neuve, baignée des fluides tranquilles de l’innocence.

’Celle qui sort d’on ne sait où’

Quelques années plus tard, le destin prend les traits de ce double astral pour venir bouleverser la routine de Wendy. W-a, une jeune femme blonde à l’allure classique et au caractère bien trempé, émanation d’un niveau occulte de la réalité, se matérialise dans l’intimité de l’adolescente qu’elle désigne comme sa Conséquence, pour l’entraîner peu à peu dans une autre dimension secrète. Rapports de force entre factions angéliques, lois de causalité mouvantes, embrouilles ésotériques, hiérarchies symboliques, pièges administratifs et révélations spirituelles, tout va très vite dans cette comedia del arte où le mystérieux Polichinelle tire les ficelles.

’Celle dont le sac est rempli de tours’

Elle est pourtant bien loin des clichés de l’Ange Gardien d’Epinal, ’Celle qui se fait appeler W-a’ ! Alternant exposés éducatifs sur le thème « Matière-Conscience-Conscience-Matière » et réflexions graveleuses comme « On est pas là pour se gratter les nibards », l’entité astrale Wendy Angelier brouille les pistes dans la tête de sa jeune élève. Après tout, elle a peut-être sombré en pleine psychose… Si ça se trouve, elle souffre d’un dédoublement de la personnalité ?
Impossible même de se rassurer en mettant ces hallucinations sur le compte d’une molécule frelatée : « Pas de LSD, Tata Magic est anti-drogue. Tata Magic est une Sainte, voyons, est-ce que les Saintes se droguent ? »

’Celle qui sait reconnaître quand il y a une couille dans le pâté’

Alors, pourquoi W-a essaye-t-elle d’ouvrir les yeux de Wendy sur les arcanes de la Conscience tout en l’enrôlant dans les pires dérapages ésotériques ? Est-ce pour mieux manoeuvrer sa Conséquence ? Quels sont les enjeux de cette ingérence du divin dans le champ du prosaïque ? Et où se situe la limite pour l’auteur dans cet origami d’univers ?
« De la manipulation ? Absolument, mais vous n’êtes pas obligée de vous y soumettre. »

Nom d’une licorne fluorescente !

Par ces personnages symétriques au-delà de l’espace et du temps, par ces romans miroirs imbriqués qui se mettent en abyme, Vincent Ravalec déploie, avec le naturel impertinent qu’on lui connaît, les faces d’une structure multidimensionnelle aussi élégante et fondamentalement étrange qu’un Calabi-Yau littéraire.

Les fils complexes entre le roman de 1996 et celui de 2004 croisent les liens tendus entre les différentes incarnations de Wendy Angelier pour tisser un tout qui, sous un certain angle, s’approche de « la Fée Clochette jouant du pipeau avec E.T. zarbi dans bus intergalactique vantant les mérites de l’art et de la magie guérisseuse des étoiles mégalithes », mais qui sous un autre est aussi un OVNI littéraire explorant les méandres de la compassion, où qui à deux degrés sur la gauche tient clairement de l’explication fumeuse qui devient envisageable, et qui vu d’ici, est un bug du programme qui, à la Matrix, autorise la méta-programmation du lecteur.

stig legrand

   
 

Vincent Ravalec, Wendy² ou les secrets de Polichinelle, Flammarion, janvier 2004, 400 p. – 20,00 €.

 
     

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Initiation à l’iboga

Par la forêt originelle passe le chemin du ngenza, loin du métro et des coffeeshops mais bien au-delà du folklore

Au fil de son tour du monde des traditions chamaniques, Vincent Ravalec a fait une rencontre qui l’a suffisamment marqué pour qu’il choisisse d’y consacrer deux livres miroirs : l’enquête « Bois Sacré, Initiation à l’iboga » et le beau livre « Ngenza, Cérémonie de la Connaissance » qui associe textes et photographies.

Jusqu’ici, c’était à travers ses romans, ses nouvelles, et tout récemment avec son premier long poème, que l’auteur transmettait aux lecteurs la quintessence de ses visions. Mais aujourd’hui, pour présenter l’iboga, plante sacramentelle au centre de la tradition bwitiste, Ravalec s’est associé à deux jeunes explorateurs des mythes universels pour produire ce guide d’initiation spirituelle au chamanisme africain, « Bois Sacré ». Mallendi, le nganga instruit dans la tradition du bwiti-ngenza, et Agnès Paicheler, par son vaste travail de documentation, apportent des perspectives complémentaires sur cette pratique visionnaire ancestrale capable de retrouver l’âme au fond du cœur moderne le plus prosaïque.

« Mettre des technicités d’hier au service d’une certaine idée de ce que pourrait être l’homme de demain »

Ce livre est donc composé de trois parties : tout d’abord, une introduction générale écrite par Ravalec qui s’y montre enthousiaste tout en sachant prudence garder. Son point de vue est celui du voyageur revenu d’un pays peu ordinaire, et, avec l’humour qu’on lui connaît, il distribue, tantôt conseil de baroudeur ès psychotropes enthéogènes, tantôt mise en garde affectueuse au néophyte occidental en quête d’initiation.

On apprend que l’iboga est la racine râpée d’une plante endémique du Gabon, la Tabernanthe iboga, tout d’abord découverte par les pygmées, et classée patrimoine national par le président Omar Bongo. Puissante émanation de la nature, c’est par la forêt originelle que passe le chemin du ngenza, bien loin du métro et des coffee shops mais bien au-delà du simple folklore…

Le rituel mystique, pratiqué depuis des millénaires par les membres des groupes bwitistes africains s’est finalement ouvert aux occidentaux. Respect et ouverture d’esprit sont bien la moindre des politesses de la part du futur initié qui a choisi de s’écarter du rôle de simple touriste pour prendre une part active aux veillées.

La seconde partie du livre figure un bref entretien où Mallendi, charismatique nganga qui a initié Ravalec, répond aux questions d’Agnès Paicheler. Sont évoqués, entre autres, son enfance au Gabon, son itinéraire dans la philosophie de vie du bwiti, et les motivations thérapeutiques qui l’ont amené à soigner des gens, aussi bien au Gabon qu’en France. Comme Ravalec, le tradi-praticien, estime que le fait de tisser un pont entre ce savoir tribal complexe et le monde moderne enrichira tout simplement l’être humain.

« Etablir une passerelle entre des systèmes culturels à priori éloignés »

Si les effets de l’iboga, consommée dans le cadre de la cérémonie bwiti-ngenza sont indiciblement profonds, la terrible amertume, la violente réaction vomitive et la phase d’angoisse préalable aux visions exigent dès le départ une réelle motivation de la part du candidat. Il est clair que l’iboga ne sera jamais une drogue récréative, mais il est utile de le préciser, et même de le rappeler régulièrement au long de l’ouvrage car la confusion est possible en France, dans un pays qui englobe tous les psychotropes en un problème unique qu’il traite par la répression.

Dans la troisième partie qui représente plus des deux tiers du livre et en constitue la partie scientifique et ethnologique, Agnès Paicheler expose dans le détail les données sur la plante, la culture et les rites bwiti, le contexte géographique et historique, le fonctionnement sur le cerveau, etc… D’autre part, elle analyse les enjeux politiques et commerciaux qui ont jusqu’ici participé au malaise médical face à l’ibogaïne, un des alcaloïdes principaux de la plante, isolé depuis le tout début du vingtième siècle, et à ses activistes, d’Act Up à Lotsof.

Selon des études cliniques menées plus ou moins en parallèle, le principe actif de la plante et son métabolite donneraient pourtant des résultats quasi miraculeux dans le traitement de la dépendances aux drogues dures et comme agent de psychothérapie accélérée. Bien qu’issues de la même base, iboga et ibogaïne sont deux choses différentes, comme peuvent l’être des expériences vécues dans des environnements cliniques ou rituels.

Conséquence négative de la mondialisation, les traditions minoritaires sont en danger d’être dénaturées quand elles ne risquent pas la disparition pure et simple, mais l’autre face positive du processus qui fait de la planète un village, c’est la nouvelle disponibilité de savoirs jusqu’alors secrets qu’acceptent de partager les sorciers. Avec des livres comme ce « Bois Sacré », des reportages comme celui de Gilbert Kelner diffusé sur France 5, le lecteur sans préjugés découvre une plante de guérison accompagnée d’une science ancestrale qui relie les cultures et les peuples en permettant à l’homme de retrouver ses racines universelles.

stig legrand

   
 

Vincent Ravalec, Mallendi, Agnès Paicheler Bois Sacré, Initiation à l’iboga, Au Diable Vauvert, avril 2004, 327 pages – 21,00 €.

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Vincent Ravalec, Un pur moment de rock’n roll

Ah, ces jeunes… Ils sont vivants, ils sont marrants, ils vont se planter en beauté !

Esthétique de la lose machine

Ah, ces jeunes ! Certains adultes les voudraient rangés, déjà responsables en herbe, conscients des combats qu’ils devront livrer pour se tailler une place confortable dans notre beau pays en ces années 90…

Et pourtant, nombre de ces mômes n’ont pas la tête à ça. Le beau programme matraqué par les parents et l’éducation nationale s’avère incompatible avec leur besoin de sensations fortes, cette envie physique poussée à l’extrême, à laquelle ne répondent pas forcément l’ouverture d’un terrain de foot dans le quartier ou l’adhésion aux projets des grandes causes humanitaires.

Ils sont vivants, ils sont marrants, ils vont se planter en beauté…

Kyrielle de prétendants pour une seule héroïne

Ravalec connaît bien ses protagonistes : petits truands, petites frappes, petits canons, gros délires, gros excès, grosses galères bien dans le rythme. Dans son style narquois, il photographie huit destins de losers remixés au shoot-grenadine avec comme jackpot la gloire ou la mort :

– Polaroïd pris au centre de formation des apprentis : baby-foot, cruauté, Chuck Berry, et le passé sur sa mobylette…
– Diapositive ramassée dans les rayons de la Maison du Bricolage : jusqu’à la cage du dépôt, il n’y a qu’un mauvais pas pour les deux copains accros aux perceuses…
– En négatif, le visage d’une bonne petite pute, douce Juliette qui passe du trottoir à l’hosto sans perdre le sourire…
– Photomaton chez les taulards pour le spectacle de fin d’année de la prison : l’occasion de découvrir de nouveaux talents…
– Radiographie pour Jean-Luc et son pote, le corps ravagé par un sida déclaré mais la tête quelque part au soleil…
– Photo de famille pour les bijoux de Never Twice, bandit turgescent qui ravissait les dames…
– Flou intimiste en face de la station service, quand le tapin distribue des Haribo au lieu de vendre la marchandise attendue…
– Pellicule voilée par la came, poème fluctuant à la poursuite du désir en attendant son dealer…

Les clefs du bonheur enfoncent des portes ouvertes

La seconde partie du recueil de nouvelles attaque sur une longue ébauche de solution à la sauce sociale : dépaysement bucolique et travaux des champs comme thérapie obligatoire pour nos jeunes délinquants. Pas évident pour eux, confrontés aux méthodes alternatives d’un pseudo gourou pathétique, mais hilarité garantie pour le lecteur qui accompagne le jeune anti-héros de plus en plus loin dans l’absurde organisé.

Chaud bouillant et sous pression !

Puis nous ferons un détour sur la pointe des pieds chez le dealer Renato, sans déranger sa chérie qui porte un bébé très attendu. Nous profiterons des embouteillages nocturnes de la Porte Dauphine pour observer les mœurs d’automobilistes vraiment ouverts. Un type croisé à l’arrêt de bus Château Rouge nous prendra sous son aile pour nous apprendre comment manipuler la chance. Et enfin, le voyage s’achèvera en Camargue, où les gitans essayent d’attiser les femmes à force de guitares torrides !

Avalé en trois secondes ce Pur moment de rock’n roll… Ravalec intercale pilules amères et tranches de vie croustillantes en épigramme épicé à la dérision. On en redemande !

stig legrand

Vincent Ravalec, Un pur moment de rock’n roll, Le Dilettante, 1992 J’ai Lu Nouvelle Génération, 1996, 158 p.

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Vincent Ravalec, L’Effacement progressif des consignes de sécurité

1e acte d’un cycle de 12 romans-hypothèses, l’EPDCDS expose des schèmes contagieux qui ne vous laisseront pas indemne…

Ouvrez le Livre d’Aventure, la magie pulse à l’intérieur…

Promenons-nous sur les autoroutes en friche au virage de l’an 2000, si loin, si proche.
Promenons-nous dans les circuits internes de Louis Dieutre, protagoniste égaré dans le multivers, si loin, si proche.
Pas la peine d’attacher sa ceinture, nous sommes à bord d’un aller simple vers l’explosion de nos systèmes de décryptage de la réalité.

REVEILLEZ-VOUS !

Et quand vous ouvrez les yeux, les symboles de la folie contemporaine se bousculent : scandales politico-financiers sur fond de drogues et de prostitution, secte branchée au nom évocateur d’un géant des télécoms, meurtre pédophile incertain, happenings farfelus mêlant les icônes de la jet-set et les malades mentaux d’un asile psychiatrique aux méthodes révolutionnaires, nain lubrique manipulateur surgi tout droit d’une BD hallucinée, chamanes importés directement des jungles sud-américaines, potions psychotropes et mandalas génétiques, jeu vidéo mystique vomissant les monstres hideux de vos pires terreurs, trajectoires perdues dans les mailles d’Internet…

Qui est Louis Dieutre ? Cette question à l’allure anodine a-t-elle une réponse toute simple ? Oui et non, car le personnage central de L’E.P.D.C.S est un paradoxe vivant, comme tout être humain qui se penche un tant soit peu sur son cas. Plus qu’une identité arrêtée, Louis Dieutre est un état fluctuant, une mutation en progression. Louis Dieutre, c’est peut-être vous à un certain niveau, vous qui lisez vos aventures dans ce Bardo-thodöl du troisième millénaire, vous qui surgissez de la page, perspective fractale bien plus réelle que l’état d’hypnose consensuel qui sature le monde.

Qu’est-ce que le Jeu ? Il s’agirait de traiter l’énergie universelle. D’organiser sa propre transe sur un mode artistique. Il s’agirait de recruter d’autres joueurs. D’offrir un nouveau mode opératoire aux artistes. Il s’agirait de décoder les bugs du programme. Et tous les coups sont permis…

PRINCIPIA RAVALECAE

« L’Effacement Progressif des Consignes de Sécurité » s’inscrit dans un projet global : c’est le premier acte d’un cycle de douze romans-hypothèses. Le principe du Jeu artistique structuré en rhizome, en construction sur www.lejeu.net , devrait bientôt se déployer sur la toile.

Vincent Ravalec transpose les thèmes d’œuvres initiatiques comme « Le Jeu des Perles » de Verre d’Herman Hesse, ou « Les Portes de la Perception » d’Aldous Huxley, avec ce qu’il faut d’humour et de sincérité pour mériter un clin d’œil (le troisième !) de feu Timothy Leary.

A l’époque où l’observation détachée du non-sens de l’existence par Houellebecq, Ellis, Bénier-Bürckel ou Jauffret tend un miroir délétère à l’inconscient collectif, Ravalec, l’écrivain-sorcier, brandit les clés psychédéliques des voies interlopes de la connaissance. Comme certains objets magiques prennent des formes adaptées aux besoins de l’époque pour mieux subvertir , « L’Effacement Progressif des Consignes de Sécurité » expose des schèmes contagieux qui ne vous laisseront pas indemne.

stig legrand
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Hallucinations ou schizophrénie ? La réalité pour Louis Dieutre a basculé ce jour du réveillon de l’an 2000. Responsable d’une fondation pour l’art contemporain qui finance les campagnes électorales de dignitaires africains, il se retrouve cerné par la justice, des cadavres en pagaille, et assailli d’étranges pensées latérales. Lesté d’un sac contenant plusieurs dizaines de millions d’Euros, Louis prend la fuite le long d’une autoroute noyée sous la tempête qui l’emmène jusqu’au village d’Archignac où les dirigeants d’un asile psychiatrique organisent un étrange bal masqué… Soupçonné du meurtre d’un adolescent, Louis pète les plombs et se réveille en patient du docteur Aïm, qui applique les préceptes de sorciers immémoriaux à l’origine de la création du mystérieux village.

Emporté dans la tourmente de la folie, du chamanisme et de la quête de son identité, le héros perd le peu de repères qui lui restent. Psychotropes et complot aidant, il est propulsé dans divers niveaux de réalités parallèles – qui pourraient n’être que les variantes d’un vaste jeu voyant les hommes manipulés, depuis la nuit des temps, par une poignée de sorciers soucieux d’asseoir leur pouvoir sur les tristes mortels. Ainsi s’opère au fil de presque 700 pages la mutation d’un espion à la petite semaine devenu tour à tour aliéné mental, criminel, consultant, créateur de génie sur le Net…

En phase avec la fin du siècle qui est aussi la fin du cycle régissant les habituelles « consignes de sécurité » garantissant tout retour à la normale, le roman de Ravalec est énorme de la première à la dernière page. Il vaut surtout pour cette démesure continuée. Le lecteur qui s’y ose en prend pour son grade, tant le prisme de la folie et de la manipulation dénature ici tout regard objectif apposé au réel. Références constantes à l’art contemporain, au Seigneur des anneaux, au délire des start-up de la Net-économie, la farce culmine dans la dernière partie de l’ouvrage avec la mise au point lors du réveillon de l’an 2001 d’une mémorable party où certaines figures de la jet-set littéraire et du show-biz se retrouvent bombardées d’excréments avant d’être abreuvées de psychotropes pour une orgiaque rave ludo-spiritualiste qui annonce la prochaine ère de Cristal…

Que restait-il des images pieuses qui avaient bercé les siècles ? Pas grand chose, (…) un prophète à trois sous, concepteur de best-sellers et de lunettes de soleil, qui avait annoncé une fausse apocalypse au moment d’un éclipse de soleil, trois mois plus tôt.

Après The Game de David Fincher, et The Prestige de Christophe Priest, un hymne « tripant » à la magie, à la puissance des ordinateurs et des jeux vidéo, qui fait douter chacun du sens de sa présence sur Terre. Une transe littéraire aux phrases infinies scandées par la world music qu’apprécieront surtout les joueurs de tous crins ou les adeptes harrypotteriens de sorcellerie new age.

frederic grolleau

Vincent Ravalec, L’Effacement progressif des consignes de sécurité, Flammarion, 2001, 687 p. – 21,00 €. 

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Classé dans Romans, Science-fiction/ Fantastique etc.

Vincent Ravalec, Une orange roulant sur le sol d’un parking

A la verticale de la culture digitale, sur un Z-index occulte, le poème graphique fait décoller Paris

…et s’illuminant tranquillement
de toutes les couleurs de l’univers

Sortie groupée pour la production visionnaire de Vincent Ravalec, ce début 2004 : Wendy² ou les secrets de Polichinelle, Nouvelles du monde entier, bientôt Ngenza et Iboga Bois Sacré, et dès maintenant, ce livre à la couverture gommée noire sur laquelle luit, en toute simplicité, une orange.

Avec le 4ème volet de son cycle, le Jeu, (projet littéraire à long terme initié par le manifeste « Pour une nouvelle sorcellerie artistique ») prend une nouvelle tournure et gagne en liberté plastique : ce n’est pas un autre roman, mais le premier poème de Vincent Ravalec, qui parait aux éditions du Diable Vauvert.

Fruit d’une collaboration intime entre l’écrivain-shaman et Olivier Fontvieille, auteur de la ligne graphique du Diable, j’imagine très facilement cet ouvrage « graphilosophique » qui rapproche ultra-modernité et tradition intemporelle, s’évader du circuit des librairies pour trouver sa place dans les squats d’artistes, les soirées branchées au Palais de Tokyo ou chez Colette.

Littéralement [techno]graphique comme « The Child » d’Alex Gopher, novateur comme les œuvres de John Maeda, ce projet explore le potentiel visuel de la métaphysique Ravalecienne… C’est une savante mise en scène d’émotion et de technique, expérience [typo]graphique en noir et blanc sur papier de fort grammage, où les couleurs racontées par Ravalec transitent directement vers le cerveau du lecteur, phrases posées sur la toile géométrique, trames et aplats pour souligner la trame narrative.

Cartographie cohérente de la poésie urbaine à Paris

Se comportant comme une porte subtile entre les dimensions, le poème 3D dessine les itinéraires secrets qui relient l’architecture Parisienne et ses habitants : une topologie d’angles, de plis, de rayons qui pointent vers l’illumination. Vue sous cette perspective, la matière du quotidien s’épanouit et révèle l’existence de ses mystères sous-jacents.

Dorénavant il fait nuit et la gare
du Nord a repris son visage originel,
celui d’une clairière inondée
par la lune où des gens célèbrent
les mystères de l’univers.

Du Marais à Bercy, puzzle en niveaux de gris, aplat noir de la page cousue de fils blancs, griffures de l’oscillographe, harmonie de pixels, symétrie atomique du positif / négatif, pluie de segments ou essaims d’aiguilles : l’espace de la page est structuré par le jeu du graphiste et de l’écrivain en des lectures astigmates. Balise mathématique de l’architecte, l’absence de la Tour Eiffel dont les poutrelles disloquées se glissent entre les pages pour refléter la lumière sur leurs arêtes d’acier.

Ravalec, qui connaît la beauté éternelle cachée sous la misère du métro, qui raconte la terreur extatique de ceux que Dieu regarde, nomme les lieux où repérer les transparences entre les niveaux de réalité. Aux points stratégiques se tiennent des acteurs involontaires (poètes célestes dans le rôle de clochards), vomissant sur la voie publique un mélange de gerbe et de prophéties.

comme si nous appelions
la bénédiction des nues
un jour nous transformerons le monde
dans une éprouvette de verre pâle
qui contiendra en germe
les restes du soleil
et des lambeaux du mal

Une incantation composée pour apaiser Paris

Comparées à la première édition du texte de Mallarmé, Un coup de dé jamais n’abolira le hasard ces 50 pages découpent dans l’esprit du lecteur des trajectoires d’ombre et de lumière dynamiques.

La douceur des intentions et des mots de Vincent Ravalec, en typos Univers et Quadraat, visuellement posée sur des plans et schémas très complexes, brille tout simplement sur le sol du parking.

... une onde dont l’essence claire et pure
irradie d’une lumière calme
le coeur de nos histoires …

A la verticale de la culture digitale, sur un Z-index occulte, le poème graphique fait décoller Paris pour transposer la capitale quelque part dans l’astral, entre ADN et galaxie.

stig legrand

Vincent Ravalec, Une orange roulant sur le sol d’un parking…, Le Diable Vauvert, 2004, 48 p. – 23,50 €.
ISBN : 2-84626-065-6

   
 

P.S

 
     

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