Sous le volcan est un chef-d’oeuvre, de ces livres-mondes qui créent leur propre langage, leur espace et leur temps
Récemment, tous les magazines littéraires ont consacré un article à la retraduction de la fameuse journée de Léopold Bloom dans le Dublin reconstitué par Joyce.
Il est une autre journée mémorable pour les lecteurs d’Au-dessous du volcan (ou Sous le Volcan) qui souvent, s’ils se reconnaissent entre eux, sont empreints du même sentiment de compassion au souvenir de la mort du consul anglais Geoffrey Firmin. Car les douze chapitres du roman de Malcolm Lowry constituent un récit de mort annoncée dès les premières pages, dont le souffle tragique s’amplifie par sa construction particulière : la dernière journée du Consul et de sa femme se déroule inéluctablement jusqu’à leur mort – elle, piétinée par un cheval, lui assassiné par la police mexicaine.
Nous sommes au Mexique, en 1938, le jour de la fête des morts, dans une ville que surplombent deux volcans. Alors qu’Yvonne débarque à Quauhnahuac pour retrouver son ex-mari, celui-ci est déjà accoudé au comptoir d’une taverne, hésitant à sombrer dans l’alcool si tôt le matin. Il a tant souhaité son retour et leurs retrouvailles improbables qu’il ne comprend pas pourquoi le retour inespéré d’Yvonne ne l’arrache pas à son monde de visions cauchemardesques, de vautours surgissant des cuvettes des WC et de monologues éthyliques délirants. Il est rongé par une culpabilité qu’on ne peut réduire aux soupçons qui ont pesé sur lui lorsque, capitaine du navire SS Samaritan, durant la Première Guerre mondiale, il a laissé des Allemands brûler dans la soute. D’abord accusé, il a finalement été réhabilité et même décoré mais sa carrière militaire s’est achevée là et le gouvernement britannique s’est débarrassé de lui en l’envoyant au Mexique où de récents incidents diplomatiques ont fait de lui un ex-consul, parfaitement inutile.
La culpabilité du Consul, insondable, est en lui : c’est une des grandes forces du livre de ne pas imposer un trousseau de clés psychanalytique, historique ou politique. Au-dessous du volcan, telle la matière géologique qu’il métaphorise, est un roman à niveaux et entrées multiples. Que ce soit l’amour impossible entre Geoffrey et Yvonne ou la relation du Consul et de son jeune frère Hugh, sorte de Karl Marx de salon qui entend sauver l’Humanité en rejoignant les Républicains espagnols (l’action se déroule au moment où Franco est en train de remporter la bataille de l’Ebre), que ce soit le Livre à écrire – un grand traité de magie noire – que le Consul n’écrira jamais mais d’où surgissent les fantômes de Dante, Goethe, Tolstoï et des échos mythologiques, bibliques et kabbalistiques ou la biographie pathétique d’Yvonne, starlette de pacotille, chaque élément pourrait former à lui seul un livre entier. Au-dessus de la ville tourne la roue Ferris d’un manège forain sur laquelle le Consul soûl échappe ses papiers d’identité, ce qui le perdra définitivement face aux autorités qui voient en lui un espion bolchevique.
Il serait vain de prétendre à une synthèse exhaustive du roman de Lowry que celui-ci remania pendant une quinzaine d’années et qui, enfin édité, fut considéré comme un chef-d’œuvre : il appartient à ces livres-mondes qui créent leur propre langage, leur espace et leur temps. À travers la conscience hallucinée du Consul nous parviennent aussi la vision d’un Mexique gangrené par la misère et la corruption et celle d’un monde au bord de l’implosion, déstabilisé par les accords de Münich et la menace hitlérienne.
sarah cillaire
Malcolm Lowry, Sous le volcan, Grasset, 1987, 447 p. – 20,60 €. Edition de poche : dans une traduction de S. Spriel avec la collaboration de C. Francillon, Gallimard coll. « Folio », 1973, 637 p. – 7,90 €. |
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