A l’aube du règne de Charles Quint, l’humaniste valencien Luis Vives est appelé dans l’entourage du souverain. De hautes sphères habitées par la sorcellerie
1516. Luis Vives, humaniste valencien exilé à Bruxelles, qu’une étroite amitié lie à Érasme, est appelé à devenir le précepteur du neveu du seigneur de Chièvres, favori de Charles Quint. Mais avant de rejoindre son élève, Guillaume de Croÿ, il doit remplir une mission de confiance : se rendre en Espagne en compagnie du jeune souverain et de sa cour, afin de déterminer si la folie de la reine Jeanne – la mère de Charles Quint – est d’origine naturelle ou magique. Le sieur de Chièvres prête à Vives les compétences requises parce que celui-ci travaille à la rédaction d’un Traité de l’âme, et qu’il jouit de l’estime d’Érasme…
Le voyage vers l’Espagne sera bien plus qu’une aventure maritime : Luis Vives est confronté à des manifestations surnaturelles des plus surprenantes ; il se rapproche d’une belle sorcière, Céleste, qui l’initie aux prodiges de la soupe du Samedi, croise de sinistres figures dont celle de Bernardo, un inquiétant moine dominicain, comprend que le roi est victime d’un envoûtement… et se retrouve douloureusement renvoyé à son passé. Quelle matière pour son Traité de l’âme ! Mais il lui faudra traverser bien des épreuves, selon la formule consacrée, pour enfin pouvoir y travailler tout son soûl.
Ce mélange de sorcellerie et de faits historiques, cette imprégnation des hautes sphères du pouvoir par la magie pourrait être du meilleur effet, d’autant que l’auteur témoigne une fois de plus d’un indéniable talent de conteur, qui sait ménager ses effets et agencer les foyers narratifs de telle manière que le suspense s’installe fort bien. Côtoyer au fil des pages Érasme, Copernic, Charles Quint, et tant d’autres personnages cruciaux de notre histoire est fascinant. L’auteur s’engouffre avec aisance dans les zones obscures du passé pour y faire éclore brillamment son imagination – il propose ainsi sa version de la mort du peintre Hyeronymus Bosch dont, paraît-il, on ne sait pas grand-chose…
Cependant la lecture est vite gâtée par la confusion de certains passages descriptifs étendus – les combats, les scènes de rituels magiques notamment – où l’on se heurte à des répétitions, où l’on s’enlise dans des phrases peu précises. Et l’on verra que la langue proposée par le texte français est, aussi, source de gêne…
Quiconque aura suivi depuis son premier opus la production de Juan Miguel Aguilera finira par avoir, avec ce quatrième roman, le vague sentiment que l’auteur applique une recette éprouvée dont il se contenterait de décliner les composantes selon des variantes plus ou moins… variées. On retrouve ici le voyage par voie de mer, et ce même combat onirico-magique déjà livré dans La Folie de Dieu puis dans Rihla contre les forces du Mal – ici le Messie Imperator des sorciers qui, bien sûr, n’est que momentanément terrassé, le temps de laisser aux personnages historiques convoqués dans la fiction aller au bout de leur destin tel que l’Histoire l’a donné à connaître. Comme dans les ouvrages précédents, les cadavres dépecés, les blessures sanguinolentes et les corps pantelants abondent – rien que de très normal dans une telle situation. L’on aprréciera l’environnement onirique dans lequel se déroule la lutte contre Sigurd – l’un des noms du Messie Imperator – et ses démons, cet outre-monde que l’on ne pénètre que sous l’influence de la « soupe du Samedi », et la vision ultime de l’arbre universel.
Mais ce qui aurait pu être une magnifique envolée imaginaire est gâchée par un détail – un détail a priori insignifiant mais ô combien envahissant : une marée capillaire ! Eh oui : l’une des « armes » de Sigurd consiste en d’innombrables tentacules de cheveux, des masses de poils… À force de lire poils, touffes de poils sombres… et autres expressions similaires, l’on finit par rire franchement – est-ce à cause de la matière elle-même ou bien de l’emploi récurrent du vocable « poil » ??? Voilà des nuances comico-grotesques introduites dans le récit, de façon assez déroutante, qui achèvent d’installer cette impression indéfinissable qui se lève très tôt, née d’un certain malaise face à l’omniprésence de tournures familières, ou trop ancrées dans notre parler d’aujourd’hui pour seoir au contexte du récit – par exemple Depuis qu’il l’avait vue, il avait résolu de coucher avec elle et il la collait du matin au soir. Ennuyeux aussi, cet usage quasi systématique du terme type pour désigner un individu de sexe masculin… En français, ce « type »-là ressortit à un niveau de langue peu châtié, qui ne s’accorde guère avec les personnages centraux du récit, ni avec le nom latin donné aux six parties du roman – « Introïtus », « Graduale », « Dies irae »… etc. – assortis d’épigraphes savantes, peut-être factices du reste…
Il convient, ici, de se demander dans quelle mesure ces choix lexicaux correspondent à l’espagnol. Et si les effets pileux, autant que l’équivalent du « poil » français ont, en espagnol, le même potentiel drolatique que dans notre langue… Parce qu’il est bien évident que ces étrangetés – qui feront peut-être le bonheur de certains lecteurs tandis que d’autres les exècreront d’emblée – se ressentent à la lecture du texte français, et qu’il ne saurait être question ici de porter la moindre appréciation sur le « style » de l’auteur sans lire son œuvre in texto. Contentons-nous de souligner qu’en matière d’effets déroutants, il est impossible de déterminer ce qui appartient à l’auteur et ce qui est imputable à la part d’interprétation du traducteur…
NB – Le premier roman de Juan Miguel Aguilera, La Folie de Dieu, publié au Diable Vauvert, a reçu le prix Imanginales et le prix Bob Morane « étranger » en 2002.
isabelle roche
Juan Miguel Aguilera, Le Sommeil de la raison (traduit de l’espagnol par Antoine Martin), Le Diable Vauvert, octobre 2006, 532 p. – 24,00 €. |
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