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Nimrod, Le Départ

Ce court livre, à l’inverse de tant d’autres qui mettent en scène l’exil pour le jouer, ne prend pas la pose

Le Tchad et s’en aller. Une source et une rupture, celle qu’induit le départ – le fait de quitter qui est celui de perdre. Et les mille choses qu’on laisse derrière soi, que l’on emporte avec soi : c’est à la racine de ce déchirement sourd que Nimrod place son encre. L’enfance d’abord, comme la source des sources, puis ces départs d’abord de ville en ville, puis de pays en pays. L’un des mérites de ce court livre, à l’inverse de tant d’autres où l’écrivain met en scène cet exil pour le jouer, est de ne pas prendre la pose. Par là, ce récit dédié à un poète, le cher Pierre Oster, s’ouvre à la poésie. C’est dire qu’il ne fait pas semblant.

Le bleu ou les bleus de la ligne du ciel (Il y a aussi des bleus très intenses. C’est après neuf heures qu’ils se manifestent, quand le ciel densifie sa surface par un effet de glacis), les proches dont la sœur, Royès, et le père, Daniel : c’est, de touche en touche, un paysage sensible qui se construit pour un enfant qui a descendu le fleuve en pirogue avec son père. Le pays où vivre, longtemps, c’est le pays mouvant du bleu ainsi que les lignes de l’horizon : L’horizon est un appel et nous sommes ses captifs.

Et très vite, les premiers déménagements, en charrette. Le verbe partir, ou en kin, la langue maternelle, le mot zin (« devant ») : J’ai abordé l’inconnu tout seul, là est mon drame. De Sara de Gaulle à Chagoua puis N’Jamena, la perte qui se poursuit le temps de l’école, du bac, dans des heures agitées de la vie politique tchadienne, et débouche sur la solitude d’un rendez-vous avec soi-même où le très jeune adulte comprend que sa vie sera marquée par le sceau du seul, qu’il sera coupé de ceux qu’il aime et de ses proches, un autre sens au mot départ :
Ce n’était pas avec moi-même que j’avais rendez-vous, mais avec quelque chose qui me vidait de tout le poids de mon être et installait en lieu et place l’épouvante.
C’est aussi le lieu d’une hémorragie que nul retour n’apaise.

Nimrod : La douceur qui accompagne à l’ordinaire un récit n’entame jamais l’horreur qui couve en dessous.
Partir dit-il. Zin

pierre grouix

   
 

Nimrod, Le Départ, Actes Sud coll. « Afriques », février 2005, 102 p. – 12,00 €.

 
     

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Nimrod, Tombeau de Leopold Sedar Senghor

Deux jours après la mort de Leopold Sedar Senghor, le poète tchadien Nimrod rendait hommage au maître en rédigeant son tombeau

Nimrod, ami…

Nu, sans lui : le livre prend acte de la disparition du maître. Senghor est mort : deux jours après la perte, un cadet, via ce geste si spécial, si précis de l’hommage, offre son encre à l’aîné, lui dédie ou lui voue ses mots, si bien que les pages se tendent vers l’autre en un « exercice d’admiration ». Se tenant au plus près de la rhétorique classique et épidictique du tombeau, le Tchadien Nimrod célèbre le Sénégalais Senghor. Une Afrique en dit une autre – c’est aussi la même – en un geste vers l’universel.

Irruption du pire, douleur non feinte dans les phrases : Senghor vient de s’éteindre. C’est la poésie qui est orpheline cet hiver mais aussi prise en compte de la hauteur atteinte par ce style unique, à des années-lumière des « écrivailleurs sénégalais » du jour d’aujourd’hui. Senghor a placé les choses très haut.

Métissage. Ce terme-clé, dont Senghor tissa l’éloge, est gage de richesse, de différence, d’authenticité. Rien de plus faux alors pour un écrivain africain que de jouer à l’Africain. L’auteur gravite autour de deux formules cardinales : Assimiler, non être assimilés  ; l’émotion est nègre, comme la raison héllène. L’émotion sera dite au plus juste par la correction de la langue, par l’élégante sobriété du style. Une probité.
 
Reste que le métissage a sa place entière. Et que l’émotion – que Senghor et Nimrod placent à raison si haut – peut se nieller de manière féconde à la raison cartésienne. L’émotion, quand elle est vraie, nous sauve. Sachons gré à Senghor de nous l’apprendre. LSS ou le poète – mais c’est un même mot – est un « homme-émotion ».

On trouvera dans ces pages des images, des photos, des traces de la présence humaine de l’Orphée noir dans le siècle que sa vie visite. Du Sine à la Seine, l’auteur remonte le temps : la précieuse petite goutte de sang portugais (Senhor > Senghor), l’humanité de l’enfant de Joal, éclats du visage de l’homme émerveillé, fragile et volontaire.

Dressé ce portrait de lumière et d’ombre, Nimrod incurve son propos vers le nouvel Africain, métis culturel ouvert à la totalité du grand tout, vivant en plaine. Cette plaine n’est pas ici le lieu de l’exposition tragique où tout peut nous blesser mais l’aire de la rencontre poétique où tout peut nous atteindre. Le nouvel homme vogue aussi, tel Ulysse sur la mer du langage. C’est dire, aussi, l’importance de la langue française, vécue comme proximité à soi : Le griot Senghor ne perd rien à chanter la francophonie. Au contraire, ce n’est là qu’une modalité de son être le plus profond.

Au tombeau succède un court essai, Léopold Sédar Senghor chantre de l’Afrique heureuse, ouvert par l’exergue d’Ethiopiques, à graver sur la matière du coeur : Je ne sais en quel temps c’était, je confonds toujours l’enfance et l’Eden / Comme je mêle la Mort et la Vie – un pont de douceur les relie.

Mais dans son enfance, un enfant a entendu les voix de poétesses (Koumba Ndiaye, Marône Ndiaye, Siga Diouf) qui lui donnèrent la poésie par leurs lèvres, l’invitant à se rejoindre. Dans le Sénégal paysan et pastoral, la transhumance du verbe aussi. Cette fidélité à l’enfance est comme le coeur de sang du livre. Le premier âge vaut comme origine. Nimrod : écrire consiste toujours à dire merci à une Origine.

In fine, au début et à la fin de tout, le lyrisme comme visage ou paysage de l’homme, parole qui nous vêt mieux que toutes les parures. Et qui vaut d’être partagée. Dans le sillage jamais lointain de Saint John Perse, la poésie dit une plénitude ivre par l’éloge dont la page est le lieu de partage. Le bel hommage rendu au maître vient ainsi du style tenu de l’élève. On ne saurait l’oublier : pratique rare, le tombeau est un genre difficile.

pierre grouix

Nimrod, Tombeau de Leopold Sedar Senghor, Le Temps Qu’il Fait, 2003, 75 p. – 13,00 €.

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