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Daniel Picouly, Paulette et Roger

Soumis à la question par Frédéric Grolleau, Daniel Picouly évoque son roman Paulette et Roger

Frédéric Grolleau : 
Votre précédent roman L’enfant léopard (Grasset, 1999) était une déclinaison historico-policière en clin d’œil à Chester Himes ; là il s’agit plus d’un retour aux sources, du côté du Champ de personne qui vous a révélé ?
Daniel Picouly :
Ce livre commence par l’image de la jaquette où se trouve contenu en puissance tout le texte. Evoquer l’univers de la famille et de parents, d’épisodes fondateurs a toujours été un projet fondamental. Avec Paulette & Roger, les parents ne sont pas seulement les ordonnateurs de toutes les histoires. Les lecteurs de L’enfant Léopard ont apprécié mes variations autour de Marie-Antoinette mais m’ont dit qu’ils voudraient surtout avoir des nouvelles de ma mère. Voilà comment est né ce nouveau livre… A partir de leur photo de mariage qui me faisait rêver, j’ai voulu m’intéresser à l’histoire de mes parents au temps où je n’existais pas, où ils étaient jeunes et beaux (mon père a 21 ans, ma mère 28 ; mais déjà 9 enfants et en attend un nouveau…). C’est donc un retour fantasmatique avant les sources puisque j’évoque ici des événements ayant eu lieu avant ma naissance !

D’où un saut en parachute, en pleine France occupée, sur Vauzelles, en 43… alors que vous êtes né en 1948. On est en plein Retour vers le futur ! 
On rencontre toujours ses parents trop tard, au sens où on les regarde autrement que comme des êtres absolus : la vie est passée, ils sont déjà un peu fatigués. On a du mal à imaginer que ces deux êtres ont été follement passionnés, qu’ils ont tout bousculé sur leur passage pour vivre ensemble. Par ailleurs, un mot suffit à me faire rêver ; c’est le cas de l’expression « se faire parachuter » : je me vois descendre en parachute sur l’histoire d’amour de mes parents. Et si je tombe de quelque part, c’est forcément d’un Dakota (parce que ça a un nom d’indien). Mais on est en 43, alors si je suis en mission, seul de Gaulle a pu affréter un Dakota spécial pour moi, en échange de ma vision de l’histoire, moi qui ai vécu 48 alors qu’on est en 41 !

Pourquoi avoir choisi de bousculer la chronologie, en évoquant tout à la fois les années 43, 39, 33 ? 
Je suis frappé par le fait qu’on cherche souvent, en évoquant nos parents, à instaurer une chronologie artificielle là où il n’y en a pas dans nos souvenirs. Notre mémoire renvoie au contraire à une circulation dans le temps où l’on mélange nos représentations des êtres chers à tous les instants de leur vie, sans tenir compte d’un concept linéaire du temps. Je ne crois pas qu’on pense en commençant par le début et qu’ensuite les choses s’enchaînent logiquement. Cette manière de voir les choses empêche d’ailleurs d’accueillir l’élément qui va rompre la chronologie et nous plonger dans un état de saisissement. Le défi était justement pour moi de parvenir à transcrire un mode de pensée non-linéaire dans mon écriture.

Ce qui explique le dialogue constant dans le texte entre vos parents et vous, en particulier votre mère qui vous file des « taloches » dès que vous dites tout haut ce que chaque membre de la famille pense tout bas ? Cette dynamique-là fait que le lecteur affronte ici moins la biographie de ses parents par D. Picouly que l’autobiographie de D. Picouly racontée par ses parents !
Exactement ; l’idée c’est d’être non pas contemplateur – ne pas se mettre dans la position distante du témoin au-dessus de la mêlée qui apprécie, juge, reconstitue – mais acteur, dans une vie qui n’est qu’un tourbillon, qui vous emporte. Retrouver ainsi l’enfance de ses parents. C’est ce que ressent le petit garçon dans ces pages qui met en évidence ce que vivent ses parents, tout en le faisant vivre lui aussi ! Parce qu’on voit que, autobiographiquement, le gosse transporte sa peur de perdre ses parents ; il frémit, exulte, s’angoisse à tout bout de champ.

Il sait bien pourtant que cette rencontre ne surviendra pas, puisqu’il est né suite à leur rencontre ?
C’est pourquoi il est inconcevable qu’il puisse décrire les événements en faisant comme s’il voyait ses parents courir un risque de manière détachée. En arrivant, ce gosse a perdu son histoire ; il connaît la fin du film mais il l’oublie, pour entrer dans l’irrationnel absolu. Il voit souffrir sa mère, sa mère ne pas le reconnaître, il en est malheureux (en dehors de toute logique du type : « c’est normal ce qui arrive puisque tu n’es pas encore né ! »). C’est comme lorsqu’enfant, on souhaite mourir pour voir les gens pleurer à notre enterrement et convaincus qu’ils nous aiment. Un môme, c’est quelqu’un qui fabrique ainsi du présent absolu avec du passé et du futur. D’où un style particulier, qui remplace parfois chez moi la virgule par le point. Car la virgule dilue, amoindrit là où je préfère une scansion plus ferme, une « mise en majesté » d’un mot ou d’une expression. Raison aussi pour laquelle dans les dialogues j’ai fait l’élision du « n’ » dans l’expression « on a pas » car chez ma mère la négation passe toujours par une affirmation. Le « ne » connote pour moi une langage de classe auquel je préfère un langage direct

Le passé a pourtant déjà tracé des traits qui font signe vers le présent de cet enfant, d’où l’épineux problème des paradoxes temporels… 
… mais il réintroduit une espèce de hasard, dans ce qui est déjà survenu comme si cela pouvait se modifier. Les choses sont pourtant établies. Le jeune héros veut néanmoins introduire l’histoire dans le destin : en définitive, il ne changera rien à ce qui s’est passé mais il va instiller le doute ; jeter de l’inquiétude au présent dans ce qui est déjà tracé. Une attitude naturelle à chacun de nous afin de faire en sorte que jamais les choses ne soient établies absolument : on sait tous qu’à un certain âge, nos parents disparaîtront mais on le veut pas vraiment. C’est une manière de se re-virginiser par rapport à une série d’évènements. Le gamin est comme un inspecteur revenant sur le lieu du crime, qui est celui de son enfance, mais sans l’envie de découvrir le coupable. Ici, la mythologie est plus forte que l’histoire, car revenir à l’histoire, à la vérité quand on a été formé par des épisodes mythologiques c’est se dé-fabriquer. Il en est de Paulette & Roger comme du « tonton d’Amérique » : il n’existe peut-être pas mais il nous fait plus rêver que l’oncle assis en face de nous en train de manger sa soupe !

On a envie de vous dire que vos parents vous ont facilité la tâche, tant leur vie s’apparente à un roman ! 
C’est vrai et cela correspond à l’enjeu du livre : faire se rejoindre la vérité objective (les éléments reconstituables 60 ans après les faits) et la mythologie. Aujourd’hui on a modifié notre esprit rationnel à l’égard de la mémoire : on découvre chaque jour que des grands hommes qui ont fait l’histoire, qui étaient éclairés en permanence, avaient une histoire personnelle obscure. Mes personnages sont des « petites personnes », dont l’histoire n’a été racontée nulle part et ne fait l’objet d’aucun consensus. Quand je me suis affronté à la mythologie familiale (l’histoire de Vauzelles est celle d’un municipalité communiste de tradition ouvrière, résistant à l’occupation allemande), j’ai rencontré d’autres mythologies : individuelles et collectives. Personne ne voulait renoncer à l’histoire de cette résistance, l’histoire de mes parents, telle qu’elle a été décrite dans ce contexte : c’aurait été aussi vain qu’inutile pour moi de vouloir la réécrire. Ce qui était vrai s’avérait donc de plus en plus être du côté de la mythologie…Ce que j’avais écouté, entendu, cru étai vrai, c’est tout. Voilà bien la force de votre propre histoire : ce qu’on vous a raconté, exception faite d’un mensonge ou d’une erreur, devient la vérité. ; le romanesque devient la vérité puisqu’il n’y pas assez d’éléments pour le contredire ! Cette histoire qui devait être une quête d’une vérité (potentiellement illusoire) n’a fait que valider ma mythologie familiale.

Ce qui n’empêche que demeure une zone de mystère in fine ? 
Il s’agit des secrets de famille qu’on ne peut donner aux autres, quand bien même on est écrivain. Voilà pourquoi on ne sait pas ce que fait mon père, qui s’envole dans un Spitfire pour Londres.

Quels sont vos auteurs préférés, ceux que vous recommanderiez ?
Cervantès, Proust et San-Antonio ; les deux derniers parce qu’ils sont l’exemple même, dans un genre différent, de la singularité. Chester Himes a aussi beaucoup compté pour moi : enfin un auteur noir !, ce qui m’a montré qu’on pouvait être autre chose avec cette couleur de peau qu’un boxeur ou un chanteur de jazz ! Je recommande volontiers Michel Quin pour Effroyables jardins (Joëlle Losfeld, 2000), parce qu’il ne tombe pas dans la description ou l’énumération téléfilmesque propre à certains auteurs.

   
 

Propos recueillis par frederic grolleau le 19 septembre 2001.

Daniel Picouly, Paulette et Roger, Grasset, 2001, 336 p. – 19,82 €.

 
     

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Daniel Picouly, La Treizième mort du Chevalier

Rendors-toi, chevalier, et repose en paix, Daniel Picouly t’a rendu à notre (bon) souvenir !

Oui ou non l’enfant léopard est-il le fils du chevalier Saint-George (compositeur renommé, escrimeur mythique, violoniste de haute volée) et de Marie-Antoinette ? Restée en suspens dans le premier volet de cette épopée (L’enfant léopard, Grasset, 2001, qui valut le Renaudot au romancier), la question reçoit ici la réponse que les lecteurs attendaient. Pour l’illustrer et la mettre en scène avec le talent qui est le sien, Daniel Picouly nous promène dans le Paris du Directoire. Nous sommes en 1799, le chevalier Saint-George a 54 ans, est quasi ruiné par son Académie pour les enfants et, atteint d’un mal incurable, va mourir.

Juste avant cette fâcheuse sortie, il découvre qu’il est amoureux d’une jeune femme, aussi sensuelle que fine lame, dont il ne connaît pas le visage. Ultime révélation au terme d’une course effrénée après que Beaumarchais a remis à Saint-George un écritoire que veut lui dérober un bretteur inconnu et muet… Si L’enfant léopard jouait avec facétie et humour des codes du roman noir à la Chester Himes, La treizième mort du chevalier s’affirme comme un roman à caractère historique qui entend rendre hommage au théâtre et à l’art de dialogue. Précieuses, subtiles, raffinées et fort philosophiques par endroit – ce qui n’empêche en rien l’humour anachronique dont l’auteur est adepte de se manifester -, les réparties fusent tant dans ces pages qu’elles constituent une manière de feu d’artifice rhétorique éblouissant.

Plus encore que dans L’enfant Léopard, Picouly joue des cordes du suspense et de l’ironie, nous mettant aux prises avec un chevalier mulâtre qui meurt plusieurs fois… avant que son trépas ne soit bel et bien définitif. Entre temps, entre un Paris et un Londres de la fin du XVIIIe siècle, défilent sur la scène de son théâtre personnel, et devant le décor des Académies de musique, le mythique chevalier d’Eon, un Beaumarchais en fin de course, un incroyable submersible, le Nautilus du savant Fulton qui n’est pas sans faire penser certains personnages de Verne ou Eco… Le « Mozart noir », tel qu’on le qualifiait à l’époque, l’un des personnages les plus importants de son époque, s’éteint certes en même temps que les dernières Lumières, mais point sans panache. Encore la pire des disparitions n’est-elle pas uniquement physique mais psychique, angoisse de l’homme versé dans les arts ne laissant plus trace de son passage pour la postérité.

Un Saint-George auquel ce grand roman rend le plus bel hommage, grâce à une trame tout en rebondissements, défis et retournements de situations mêlés. Rendors-toi, chevalier, et repose en paix, Daniel Picouly t’a rendu à notre (bon) souvenir !

frederic grolleau

Daniel Picouly, La Treizième mort du Chevalier, Grasset, 2004, 344 p. – 20,00 €. 

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