Huitième pierre du vaste édifice qu’a entrepris de bâtir Julien Védrenne à la mémoire du grand écrivain russe
Pour une présentation de l’ensemble du « dossier Dostoïevski » dont cet article constitue le huitième volet, lire notre article d’introduction, où figure la liste des oeuvres chroniquées.
Un cœur faible (Slaboié serdsé en russe) est le huitième des récits de Fédor Dostoïevski, écrit en 1848. C’est une nouvelle de quatre-vingts pages, présentée ici avec une couverture illustrée d’une peinture de l’artiste français Édouard Vuillard (1868-1940), Portrait de Lugné-Poe (1891, peinture exposée au Memorial Art Gallery of the University of Rochester, à New York).
Vassia Choumkov et Arkadi Ivanovitch Néfédévitch, deux jeunes collègues de bureau, ont pour tâche essentielle de copier des documents administratifs. Ils partagent un même logement et vivent modestement mais avec toute l’énergie que leur confère leur jeune âge. Vassia Choumkov souffre d’une certaine difformité : il est bossu.
Le jour du Nouvel An, Vassia entre en trombe dans leur logement. Il est amoureux d’une jeune fille, Lisanka Artémiev, qui l’aime aussi ! Son cœur bat la chamade. Le pauvre garçon est tout retourné. Ses propos sont hachés et partent dans tous les sens tellement sa joie est grande.
Aussitôt, nos deux jeunes compères retournent, pour le plus grand plaisir de Lisanka et de sa mère, dans la demeure des Artémiev. Ils ne peuvent rester longtemps : Vassia Choumkov a du travail à faire pour Ioulian Mastakovitch – son protecteur actuel – un personnage que l’on a déjà croisé, sous des traits fort déplaisants, dans Les Annales de Pétersbourg.
Pour lui, Vassia doit accomplir en quarante-huit heures un travail qui devrait s’étaler sur trois jours. Il s’attelle à sa tâche. La première nuit avance et Arkadi Ivanovitch doit forcer son ami à se coucher une petite heure.
À partir de là, le rythme s’accélère. Pour gagner les faveurs de sa belle, Vassia multiplie les efforts et sombre, peu à peu, dans une folie accentuée par la fatigue. Arkadi Ivanovitch ne comprend pas pourquoi Vassia se démène autant mais son camarade finit par lui expliquer qu’il a négligé son travail durant les trois dernières semaines, occupé qu’il était à courtiser la divine Lisanka. Et ce qu’il doit achever en quarante-huit heures ne représente pas trois jours de travail mais vingt et un !
Vassia Choumkov ne peut se décider à expliquer à Ioulian Mastakovitch l’aventure qui lui est arrivée. Arkadi Ivanovitch se propose bien de s’en charger mais en ce Jour de l’An, les bureaux sont fermés et pour ce qui est d’aller chez Ioulian Mastakovitch, il ne faut pas y songer.
Pendant ce temps, Vassia court partout, effraie tout le monde par cette fièvre qui s’empare de lui et finit par sombrer totalement dans la folie, au plus grand désespoir de Lisanka, d’Arkadi Ivanovitch et de Ioulian Mastakovitch pour qui ces papiers n’étaient pas si importants et pouvaient souffrir un retard.
Ici encore, Dostoïevski traite d’un sujet qui lui est cher, la folie. On la voit arriver, inéluctablement. Le poids du destin. Cet être qui se croyait, à cause de sa difformité, condamné à ne vivre l’amour qu’en rêve se retrouve aimé et se jette à corps perdu dans une histoire qui le perdra sous les regards effarés de ses proches. L’aventure sentimentale de Vassia a tout pour être belle. Dès le début, on sent que l’année s’annonce radieuse et les festivités du Jour de l’An sont propices à la joie – mais la négligence professionnelle du triste Vassia vient tout balayer.
j. vedrenne
Fédor Dostoïevski (Traduction d’André Markowicz), Un cœur faible, Actes Sud coll. « Babel » (vol. n° 430), 2000, 80 p. – 5,00 €. |
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