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Fabrice Melquiot, Veux-tu ?

Veux-tu ? pourrait se définir comme un ensemble de poèmes théâtraux qui fluctuent entre Surréalisme et Surabstraction


A
l’instar des plus grands dramaturges contemporains – Edward Bond, Bernard-Marie Koltès ou Marie NDiaye – Fabrice Melquiot aborde le théâtre par ses rives les plus sauvages et les plus luxuriantes. Chaque mouvement de phrases nous soulève, nous porte, nous creuse, nous confronte avec les lueurs qui nous sculptent en nous-mêmes. C’est l’humanité, dans ses divers remous, qui s’anime dans nos yeux, telle une lanterne miroitante et magique. Sans cesse en errance, Melquiot reprend la tradition de l’écriture nomade ; ses mots voyagent sur les divers continents d’un réel transmis ou bien transfiguré ; écriture dense, en perpétuel mouvement, dont l’ellipse est la figure emblématique, et l’image une projection visuelle qui nous capte dans sa résolution.
 

Après avoir obtenu un baccalauréat audiovisuel, Fabrice Melquiot – né à Modane en 1972 – suit une formation d’acteur sous la direction de Julie Vilmont. Il exerce cette activité au sein de la compagnie Théâtre des Millefontaines, tout en écrivant ses premiers textes pour enfants. Depuis plusieurs années, il se consacre entièrement à l’écriture – ce qui pour nous est une aubaine, étant donné la profondeur incisive de son talent. Révélé par la Comédie de Reims et Emmanuel Demarcy-Mota, Melquiot est de plus en plus traduit et ses textes sont à l’affiche dans le monde entier. Jouée au Studio-Théâtre, sa pièce Bouli Miros’inscrit ainsi au répertoire de la Comédie-Française, ce qui est une reconnaissance, on ne peut plus légitime, de cet immense talent. 

Je passe mon temps à corriger le vide,nous dit Melquiot, en ouverture de ce volume. Veux-tu ?, recueil de textes plus ou moins récents, pourrait se définir comme étant un ensemble de poèmes théâtraux qui fluctuent entre Surréalisme et Surabstraction, entre impulsion réflective et réflexion impulsée, entre ce qui se joue dehors et ce qui tremble au-dedans. Corriger le vide, réparer ou punir, avec des mots de plâtre ou des mots cinglants, de ces mots qui justifient la langue lorsqu’elle s’étire jusqu’à naître de ses cendres ? Le vide, celui de la page blanche, de la marge, des interlignes ? Celui des hésitations, des ruptures, des silences ? Celui entre la cour et le jardin, entre la scène et le premier rang, entre l’acteur et le spectateur ? Entre le dit et l’entendu ? Là, derrière, dans les coulisses, entre les cintres ? Ou peut-être dans les jeux de lumière ? Tout ce videqui nous parle ? 

Melquiot, dans Veux-tu ?, dialogue avec le monde. Ses poèmes – lesquels, je le confirme, sont du théâtre – se jouent du vertige en franchissant les vides qu’il a conquis. C’est écrit dans la masse, buriné dans le brut, découpé à l’emporte-pièce, mais avec quel doigté ! Spontanée, comme peuvent l’être le rire ou la foudre, cette écriture nous nargue par sa verve et sa fougue ; elle associe ce qui – à tort ? – se révulse ; elle dissocie les sons pour mieux les confondre ; pour engendrer du sens là où n’était que discours ; elle se dérobe lorsqu’elle se donne, mais s’abandonne lorsqu’elle fuit. C’est l’écriture filante. 

Je fais son lit à la lune au carré
Le tien, le borde de signifiants
D’adjectifs rubiconds
Et de propositions pas toujours coordonnées
Ton lit arachnéen
Je l’insulte pour t’endolorir
Et chemin faisant de toute contradiction
J’y brosse le dernier de mes rires
daniel leduc

   
 

Fabrice Melquiot, Veux-tu ?, Editions L’Arche, 2004, 144 p. – 12,00 €.

 
     

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Je peindrai des étoiles filantes et mon tableau n’aura pas le temps

Un radieux échange d’amour dans les étoiles par-delà terres, mers et trépas. Un beau conte contemporain, pour rire avec tendresse

© Bellamy / Festival d’Avignon
I
bou est en Europe, il doit ramener le médecin au pays, quelque part en Afrique, où Rokhaya se meurt doucement. Au loin infiniment l’un de l’autre, ils se parlent, ils se racontent et s’appellent, comme seul avec l’être aimé on peut continuer à parler par-delà frontières, mers, mondes et douleurs.

Au désir qui continue de travailler Rokhaya, désir d’être femme toujours, malgré la maladie, la solitude et la compassion des autres – femme mère, femme désirable, femme laborieuse, femme possédée – répond le brûlant désir d’Ibou, et son espoir pour Rokhaya, tous deux infiniment seuls, infiniment tendres, survivants à toutes les malveillances et bienveillances bizarres qui les entourent – fondées sur la différence de celle qui meurt, celui qui est noir… – dans ces deux mondes également moqués, rapprochés, de l’Europe et de l’Afrique, deux mondes également incapables de répondre à la langue du désir, de l’amour.

Au-delà d’un monde-poubelle magnifiquement mis en scène par un décor onirique – mêlant fruits, nuit et ordures – Rokhaya rêve son désir, danse son désir, et Ibou rit de ce monde – Paris, le racisme qui s’ignore, les médecins qui ne savent entendre la voix douloureuse de la maladie – sur lequel il porte un regard naïf et tendre, décapant… Et tous deux planent dans un beau conte contemporain, de poésie, de désir cru et nu.

Beaucoup de tendresse et de grands rires, servis par un jeu juste, intensément, rendant d’autant plus intense la fin atroce, dans un mise en scène radieuse.

Un vrai beau conte.

samuel vigier

   
 

Fabrice Melquiot, Je peindrai des étoiles filantes et mon tableau n’aura pas le temps
Mise en scène de Michel Belletante, assisté de Isabelle Sidoit.

A Avignon, Présence Pasteur, jusqu’au 24 juillet à 21h45.

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