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Andreas Eschbach, Le dernier de son espèce

Un suspense du non-suspense qu’entretient un cyborg rêvant de redevenir humain

Remarqué à la rédaction du Littéraire avec Jesus video, plébiscité ensuite avec Des milliards de tapis de cheveux, Andreas Eschbach, nanti de nombreux prix littéraires, n’a plus besoin d’être présenté. Il nous revient avec un texte atypique, d’un plus court format que d’habitude mais au contenu toujours aussi stimulant. Il suffit d’être observateur pour en apprécier immédiatement la teneur grâce à la belle couverture qu’a confectionnée Manchu pour les éditions de l’Atalante. Que voit-on ? Un solide gaillard fouetté par les embruns d’un âpre paysage qui se tourne de trois-quarts, dévoilant ainsi un oeil droit particulier… d’où émane une lueur rouge.

Les pages qui suivent vont nous expliquer que cet homme, Duane Fitzgerald, est en fait un cyborg. Un ancien soldat américain ayant accepté au début des années 80 de subir une multitude d’opérations hautement technologiques afin de devenir une sorte d’universal soldier. Débarqué du projet, avec cinq autres de ses camarades de combat d’alors, pour cause de dysfonctionnements répétés et de modifications de politique gouvernementale, Duane coule depuis des jours paisibles en tant que retraité de l’armée à Dingle, petit village d’Irlande. Mais le calme ne va pas durer car le héros va bientôt découvrir qu’il est, le titre du roman l’explicite, « le dernier de son espèce » – un dernier témoin fort gênant de la dérive offensive américaine qui va devoir être éliminé par son propre camp.

Curieux canevas que celui-ci donc, qui louche constamment entre L’homme qui valait trois milliards et les archétypes de superhéros empruntés aux comics US, et qui ne donnerait certainement pas grand-chose sous la plume d’un romancier moins inspiré qu’Eschbach. Mais voilà, c’est un grand monsieur, bien documenté sur l’Irlande et les procédures des stratégies de l’armée américaine en matière de biopouvoirs, qui est aux commandes. Et qui a la bonne idée de panacher les pérégrinations tout en contrariétés de Fitzgerald avec des citations de Sénèque, le philosophe étant assimilé en quelque sorte à un mentor par Duane, à la manière dont le Torop de Maurice G. Dantec dans Babylon Babies renvoyait constamment dans ses pensées, faits et gestes à L’art de la guerre de Sun Tzu. L’artifice, maîtrisé, confère beaucoup d’épaisseur à l’intrigue et laisse entendre d’emblée le stoïcisme, mâtiné d’un brin de scepticisme avec lequel le héros envisage son avenir.

Et le lecteur de lire chapitre après chapitre cette histoire abracadabrante d’un surhomme en droit « incassable » qui multiplie les échecs à cause du délire techniciste et prométhéen du programme Steel Men n’ayant jamais envoyé au front aucun de ces membres de commando d’élite. Jusqu’au bout on y croit. On espère que Duane va se tirer du traquenard où il est embourbé grâce ses mégapouvoirs. Tout cela consonne avec un suspense du non-suspense qu’entretient fort bien le caractère désabusé du cyborg rêvant de redevenir humain, sans qu’à aucun moment une once de délire fantastique ne nous fasse sortir du lit étroit du réalisme.

C’est bien cela le plus étrange en définitive : en le conjuguant au passé, Eschbach parvient sans peine à nous faire accroire que, loin de toute extrapolation de pure science-fiction, le projet Steel Men pourrait être des plus plausibles. Un constat qui fait froid dans le dos… et donne envie de relire un peu de la sagesse du grand Sénèque.

frederic grolleau

Lire notre entretien avec A. Eschbach

   
 

Andreas Eschbach, Le dernier de son espèce (traduit par Joséphine Bernhardt & Claire Duval), L’Atalante, 2006, 292 p. – 19,00 €.

 
     

 

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Andreas Eschbach, Jésus vidéo

Un envoûtant voyage au royaume de l’impensable et de l’absurde qui nous en dit plus long que les Evangiles sur ce que n’a pas été Jésus Christ

Quel est le visage authentique de Jésus Christ ? Comment le Christ se comporte-t-il lors de ses prêches de Capharnaüm ? A quoi ressemblent, fixés sur une pellicule du futur, les faits et gestes de la source du christianisme ? Autant de questions qui ont l’air déplacées ou surgies d’une imagination fantaisiste, mais qui sont inéluctables dès lors qu’on découvre lors de fouilles archéologiques en Israël à l’époque contemporaine un squelette datant de 2000 ans et dont tout porte à croire qu’il s’agit d’un homme ayant vécu au vingtième siècle ! L’attestent non seulement les signes de soins corporels supposant une technologie évoluée mais surtout, déposé en offrande funéraire, un livret d’utilisation d’une caméra qui n’existera que trois ans après sa découverte par le jeune Stephen Foxx…

On se dit d’emblée qu’en partant d’un tel scénario, rocambolesque à souhait, un écrivain de science-fiction – aussi doué soit-il – ne peut que s’empêtrer dans des contradictions et laisser retomber, tôt ou tard, aussi bien le rythme que la tension dramatique du récit. Grossière erreur. Car Andreas Eschbach, pape de la SF allemande qui n’en est pas à son coup d’essai (voir Des Milliards de tapis de cheveux), s’ingénie ici à déployer une histoire qui tient haut la main les folles et trépidantes promesses du départ. Pas un seul instant le scénario ne se relâche ; jamais il ne vient à l’esprit de se demander où le romancier veut nous emmener. Au coeur des multiples paradoxes temporels impliqués par le voyage dans le temps d’un homme du futur filmant caméra au poing les sermons du Christ, les interventions successives d’un magnat des médias américains et de ses hommes de main peu scrupuleux, de membres de l’ancienne Inquisition prêts à tout pour récupérer la caméra et l’enregistrement si décisifs, Eschbach produit un véritable feu d’artifice littéraire.

Reléguant le suaire de Turin au rang d’un amusement sans conséquence, Jésus vidéo se lit en ce sens comme un thriller à la sauce archéo-techno-théologique où les attendus du genre sont respectés. Et relevés par une mise en boucle des séquences qui rend hommage au « circuit fermé » propre à tout time-travel qui se respecte. Il faut préciser d’ailleurs que ce récit, si l’on excepte le postulat d’ « anticipation » du départ, se parcourt sans être pour autant de la « pure » ou de la « dure » SF. Moins délire plus ou moins organisé que déroulement logique des présupposés initiaux, Jésus vidéo, c’est sa force, peut être lu tant par des amateurs du genre fantastique que des aficionados du roman policier (ou « historique ») en général. Mais aussi bien, par des agnostiques profonds comme des croyants convaincus. Enrichie par les interprétations, les hésitations d’un écrivain de SF allemand, Peter Eisenhardt, emporté dans la tourmente, cette histoire pousse le jeu de miroir à son comble pour accoucher de thèses qui mettent en accusation la responsabilité de l’Eglise romaine et du capitalisme américain en matière de gestion du patrimoine de l’humanité. Le christianisme est établi depuis 2000 ans et ce qui dure aussi longtemps dure éternellement. La vérité, c’est que la personnalité du fondateur ne joue strictement aucun rôle. Au contraire, il est bon que celui qui est source de tout demeure inconnu, insaisissable – comment aurait-il pu, sinon, devenir cette idole surhumaine ?

Ainsi, tirée à hue et à dia par des commandos sectaires de tout crin, l’image technologique du Jésus véridique et historique doit-elle s’abaisser devant l’image sacrificatoire mythique forgée par ses propres épigones. Un envoûtant voyage au royaume de l’impensable et de l’absurde qui nous en dit plus long que les Evangiles sur ce que n’a pas été Jésus Christ. Et sur ce qu’il est devenu, idole nécessaire confectionnée à la suite d’un lent et méthodique travail de travestissement mené par le Vatican afin d’asseoir son empire sur le monde. Avec la traduction française de cet opus, celui qui a reçu le prix Imaginaire 2001 pour Des milliards de tapis de cheveux revient de manière fracassante sur le devant de la scène éditoriale SF. Jésus vidéo est l’un des rares livres de l’année qui vous scotche à votre fauteuil, vous faisant oublier le temps qui passe ou qu’il fait tant que vous ne serez pas parvenu au terme de votre lecture.

Une version video-live de la « mort de Dieu » à découvrir dès que possible.

frederic grolleau

   
 

Andreas Eschbach, Jésus vidéo, L’Atalante, mars 2001, 597 p. – 23,00 €.

 
     

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Andreas Eschbach, Des Milliards de tapis de cheveux

Un livre magistral pour sa transposition fantastique des structures totalitaires inventées au XXe siècle

Alors voilà. Le jour est arrivé. Vous vous étiez dit jusqu’ici que la science-fiction, la SF, c’était pas pour vous ? Vous avez entendu, de-ci de-là, les mots space opera ou fantasy mais sans saisir ce dont il s’agissait ? Vous croyez toujours que l’uchronie est une vague maladie qui donne des démangeaisons de peau ? Qui plus est, vous n’étiez pas disponible lorsque les éditions nantaises de l’Atalante ont eu le nez creux en découvrant le romancier Andreas Eschbach et en traduisant son premier texte en 1999, Des milliards de tapis de cheveux (Grand Prix de l’Imaginaire 2001) ? À la bonne heure, vous tombez bien : J’ai Lu fait paraître le format poche de ce livre culte qui permet de dépasser une SF obsolète pour réconcilier ses amateurs avec les amoureux d’histoires bien troussées où le poétique n’entrave en rien le conceptuel…

Aux confins d’un empire galactique immense, la petite planète Gheer est le cadre d’une tradition aussi obscure qu’absurde : la plupart des hommes y sont tisseurs de père en fils et passent leur vie à réaliser un tapis (et un seul) composé des cheveux de leurs femme, concubine ou filles. Ainsi constitués, les tapis sont ensuite vendus à des marchands qui les acheminent jusqu’au palais des Étoiles de l’empereur. Le tisseur qui vend son tapis remet alors l’argent à son fils (les familles tuent tous les autres garçons nés après l’aîné) et le cycle se perpétue de génération en génération, chacun s’acquittant de sa tâche sans se poser de métaphysiques questions. Mais depuis quelque temps s’intensifient les rumeurs hérétiques selon lesquelles l’Empereur serait mort, assassiné par une poignée de rebelles. L’équilibre millénaire de Gheer et de la galaxie, reposant sur l’échange à partir de tapis de cheveux, est-il donc désormais menacé ?
Une inquiétude d’autant plus forte lorsque le lecteur apprend grâce à des voyageurs particuliers que Gheer, et cette masse de tisseurs, fait partie d’un système solaire… oublié du centre de l’empire depuis 80 000 ans ! Des milliers de tapis chaque année, depuis des milliers d’années, sans raison objective : où cela s’arrêtera-t-il ?

A partir d’une « trame » aussi simpliste et superficielle en apparence, Eschbach, chef de file de la SF allemande (lire notre entretien) , développe une remarquable réflexion sur les enjeux du pouvoir et la répétition infinie des courroies de transmission qu’il présuppose. La structure même du livre joue en clin d’oeil du motif tapissier en agrégeant une multitude d’histoire singulières, presque indépendantes, à un fil principal (sur le modèle des romans de SF de l’âge d’or, tels que Fondation, souvent composés de cycles de nouvelles), lequel, vu finalement avec un tant soit peu de recul, permet de réintégrer du sens dans un schéma ponctuel qui paraissait arbitraire tel quel, avant sa réintégration dans le grand tout. Servie par des déplacements constants et de plus en plus larges dans le récit (on passe de l’humble cahute des tisseurs au vénérable palais impérial, objet de tous les phantasmes au « fil » des épisodes), l’histoire vaut rien moins que comme système. La somme de ces courtes nouvelles, dont seuls quelques personnages se recoupent, devient ce faisant un véritable conte sur la nature du pouvoir, et sa folie consubstantielle.

Se dessine en effet un portrait de l’humanité, avec ses rêves et ses cauchemars, ses croyances et ses certitudes puisque c’est, aussi bien, le fondement même de toute la hiérarchie sociale, de l’économie et de la religion d’une nation qu’interroge avec talent Eschabch, à qui l’on doit également Station solaire et Jesus Video. La société décrite ici, figée par l’obéissance et par un pouvoir omniprésent en chaque individu quasi décervelé, vaut pour toute forme d’hétéronomie et de passivité de la conscience face aux manipulateurs qui savent comment en abuser (qui ne se souvient des fonctions atroces dévolues dans les camps d’extermination nazis aux prisonniers condamnés à produire des objets en peau et cheveux humains ?) Der Haarteppischknüpfer (titre original de Des milliards de tapis de cheveux) propose en ce sens un sujet de méditation qui va bien plus loin que l’enfermement dans un genre, estampillé SF ou pas : le canevas sur lequel brode ironiquement l’auteur – un empire et des rebelles : rien de neuf sous le soleil starwarsien – n’est convoqué que pour être porté à son paroxysme logique et exploser.

Comment ordonner une galaxie entière où des dizaines de milliers de planètes semblables à Gherr sont guidées par le seul délire monomaniaque de la production de tapis, avec en vue la pseudo fin rationnelle de décorer le palais d’un lointain Empereur, Aleksandr XI, qui doit être mort depuis longtemps ? telle est l’insondable question qui revient, lancinante, sous les yeux du lecteur. Autant se demander comment mettre un terme à l’emballement des rouages d’une machine douée de la faculté d’autoréparation et de reconduction à l’identique de son fonctionnement…

Un livre magistral, cousu de tout sauf de fil blanc, à lire donc pour la transposition « fantastique » qu’il propose des structures totalitaires inventées au XXe siècle et où le crime de l’autre était valeur – pour ne pas dire « motif » – suprême. Eschbach interroge de manière nouvelle le rapport de l’homme à son univers et ses convictions, le tapis valant ici comme métaphore de l’histoire de humanité elle-même advenue à partir de nombreux puzzles ayant fini par former un dessein interprétable et orienté, où passé et futur, creusets de mythes, se con-fondent alors dans l’art d’ourdir des complots et de tisser les mensonges afin de créer une fresque politique hors du commun… et de tout soupçon.
Jusqu’au moment peut-être où arrive le premier philosophe, désenchanteur des temps modernes, celui qui coupe les cheveux en quatre et révèle la vérité des tapis.
Un indivdu dangereux. Forcément.

frederic grolleau

Andreas Eschbach, Des Milliards de tapis de cheveux (traduit de l’allemand par Claire Duval), J’ai lu, 2004, 310 p. – 6,80 €.

Première édition : L’Atalante coll. « La dentelle du cygne », 1999, 314 p. – 15,20 €.

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Entretien avec Andreas Eschbach

Avec Jésus vidéo Andreas Eschbach imagine les perturbations entraînées par la découverte d’une caméra ayant filmé le Christ 2000 ans plus tôt…

Frédéric Grolleau
Comment caractérisez-vous votre texte, indépendamment des critiques littéraires qui s’y rapportent ?
Andreas Eschbach
Imaginez que vous voyez des indices indiquant qu’il existe quelque part en Israël une vidéo de Jésus enfouie depuis 2000 ans, la seule question est : où ? Les thèmes du pouvoir et de la religion me passionnent et Jésus vidéo s’inscrit bien dans cette thématique. Il y a des liens incontestables entre mes romans mais ils n’ont pas été élaborés tels quels, en toute conscience.

De nombreux auteurs anglais ou américains illustrent le thème du voyage dans le temps. Quels sont ceux dont vous vous réclamez ?
Pour avoir la vidéo de Jésus qui m’intéressait, il fallait nécessairement que j’introduise la question du voyage dans le temps, mais je n’y vois pas un thème principal du livre. J’ai été plutôt énervé par le fait que de grands maîtres comme M.l Morcoock aient abordé ce thème classique. J’écris en cultivant une idée qui met parfois dix ans à se densifier. Ainsi le premier élément concernant ce livre m’est-il apparu en 1991. Après, il faut encore poser les personnages, développer l’action. Ici, le noyau originel renvoie à la question : que se passerait-il si l’on possédait la vidéo du fondateur d’une religion, ici Jésus ?

Quels sont les auteurs que vous lisez ? 
J’ai entre 3 à 4000 livres : Bradbury, Clancy, Grisham, Asimov, Arthur C. Clarke. J’ai même un livre de Goethe mais je ne l’ai pas encore lu… En guise d’ouvrages de référence, je consulte souvent l’Encylopedia Britannica (citée dans Jésus vidéo) et des essais sur l’écriture. J’ai aussi conservé mes livres d’enfants : E. Blyton, J. Verne (en mauvais état), A. Lingren, Simenon…

Votre texte peut être lu aussi bien par des croyants que des néophytes. Votre roman est-il une forme de prosélytisme ? 
Je récuse cette appellation. Mon ambition première était moins de faire oeuvre de missionnaire que de montrer la religion sous tous ses angles.

Certains penseurs allemands ont élaboré des systèmes construits autour de la notion d’Universel. Vos personnages sont au contraire toujours des êtres singuliers s’opposant à divers groupes…
Je ne m’y connais pas assez en philosophie allemande pour prétendre reconstruire un nouvel Universel. Jésus vidéo n’est pas un ouvrage philosophique abstrait, de l’ordre du débat d’idées, mais simplement un bon moment de lecture, lié à une histoire concrète.

Mais ne cherchez-vous pas à présenter ici une nouvelle définition de la vérité, au sens théologique comme scientifique ?
Oui et non. Je remets en cause le concept de vérité au sens où il apparaît que trouver la vidéo ne saurait constituer une « preuve » quelconque.

Comment définissez-vous alors la vérité ?
Je n’ai pas de définitions à proposer. J’aspire à développer une immédiateté entre mon sujet et mon écriture et n’entends pas « récupérer » telle ou telle philosophie… La relecture de l’héritage religieux chrétien assimilé à un intégrisme n’est qu’une attitude parmi d’autres, qui caractérise surtout l’émissaire du Vatican, Scarfaro…

Votre texte regorge de détails techniques. Comment accumulez-vous votre documentation ?
Ma formation d’ingénieur n’y est pour rien ! Mes recherches en bibliothèque sur l’histoire et la géographie m’ont ici pris plus de temps que celles sur les outils vidéo. Mais j’ai appris qu’une bande vidéo ne peut excéder 100 ans… Et un archéologue m’a fourni de précieux renseignements.

La cassette vidéo qui est le personnage central, par son absence, n’apparaît plus aussi importante que cela à la fin puisque certains ne veulent même pas la consulter… 
Il ne s’agit pas seulement ici d’une course après un objet – tel le McGuffin d’Alfred Hitchcock – dont le contenu importe peu. Chaque protagoniste peut adopter l’attitude qu’il désire par rapport à cette cassette : c’est sa liberté !

Mais ne voulez-vous pas montrer en définitive que ce qui compte, c’est moins l’objet-cassette que les désirs que chacun y projette ? Cela veut-il dire que toute quête est une forme de déception ?
Ce thème est chéri par les philosophes mais telle n’était pas mon intention. Ma question de départ était de savoir comment un être humain pouvait réagir s’il avait accès à une perception des personnages historiques sur le modèle des êtres actuels, telles les figures politiques qu’on voit défiler à la télévision. Croirait-on plus ou moins ? Cela rendrait-il leur auréole plus sombre ? Qu’est-ce que cette vision directe changerait en nous ? En voyant par exemple Jésus à l’écran se dirait-on : « Ah ! il a vraiment une coiffure impossible ! », « Il ferait mieux d’avoir moins de barbe » ?

Quelle est votre position sur le phénomène de la croyance ? Est-elle de l’ordre de l’intangible ou suppose-t-elle toujours des relais ?
Quand je crois que ma femme m’aime, je n’ai besoin ni de preuves ni d’objets pour cela. Mais je pense aussi que la croyance peut être très dangereuse lorsqu’on s’y adonne à haute dose – auquel cas je lui préfère alors le doute !

Une vieille querelle oppose dans l’histoire des religions les idolâtres et les iconoclastes. Dans quelle catégorie faut-il ranger Jésus vidéo ?
Je n’étais pas particulièrement conscient de ce combat avant d’arriver à Paris cette semaine. Je ne prends pas position à ce sujet et ne me range dans aucun camp. Je préfère vous laisser seul juge. Je n’ai pas grandi dans la culture protestante connue pour proscrire l’adoration de l’image, j’ai juste été baptisé…

Quelle est alors votre conviction religieuse ?
Je préfère ne pas en parler car l’énoncer risquerait de mener le lecteur à de fausses interprétations. Cette affaire entre Dieu et moi doit rester privée.

Vous répondez toujours prudemment en disant que votre livre laisse ouvertes plusieurs interprétations. Le choix du voyage dans le temps participe-t-il de votre volonté de ne pas trancher en posant que chaque personnage du livre, pris au coeur de temps parallèles, a toujours à la fois tort et raison ?
Je n’ai pas voulu écrire un pamphlet religieux. Mais c’est un tort de croire que lorsqu’un écrivain a écrit quelque chose il aurait pu écrire le contraire. Ce qu’il écrit correspond à ce qui lui apparaît sous ce jour. Il ne s’agit jamais d’un choix délibéré.

Tout laisser ouvert en termes d’interprétation, c’est aussi parfois une forme de fermeture ? 
Il va falloir que je réfléchisse à cette question philosophique. Moi, je ne suis qu’un petit auteur de romans divertissants.

Le divertissement connote dans la langue latine la trahison. Avez-vous voulu traduire certaines exigences religieuses ou les trahir à travers un texte polémique ?
Au sens allemand du terme, le divertissement est une manière d’alimenter et de faire vivre. J’ai craint au début de partager le destin de Salman Rushdie mais l’Eglise catholique est manifestement plus tolérante que les ayatollahs.

Quels sont vos ouvrages à paraître ?
Le projet Mars, un livre de SF pour la jeunesse, vient de sortir en Allemagne. Quest, un space opera classique (et un hommage que j’adresse aux lecteurs de SF) paraîtra le mois prochain. Un livre encore top secret, un roman de littérature générale et non un récit de SF, sera publié en automne.

   
 

Propos recueillis par Frédéric Grolleau le 20 avril 2001, avec la complicité de la traductrice de l’oeuvre d’A. Eschbach en France, Claire Duval.

 
     
 

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