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Pierre Bordage, La Fraternité du Panca – tome 5, Frère Elthor

Pierre Bordage renouvelle le Space Opera

Voici le cinquième et dernier volet de La Fraternité du Panca, attendu avec impatience depuis les premières pages de Frère Ewen, le tome un. La Quinte est constituée. Le premier élément doit se rendre dans Les Nuages de Maldan, comme le lui souffle la Fraternité. C’est Bent Beautlan, de la planète Iox, qui assume ce rôle bien malgré lui. Mais, il est riche des expériences des maillons précédents.
Bent, a été dénommé Elthor, un choix peu judicieux dans la partie de la Voie Lactée où il se trouve, car c’est le nom du jumeau maléfique d’Elkar, un vrai salopard ! Il se fait embaucher sur le Phosphelius, un vaisseau affrété par un groupe de chasseurs qui veulent traquer, sur les Nuages de Maldan, un gibier encore inconnu dans la galaxie. Des scientifiques profitent de ce voyage pour aller étudier cette mini galaxie. Sous la férule de Maliloa, une jeune femme qui ne le laisse pas indifférent, Elthor est chargé de surveiller la coque pour déceler toute déformation due à la vitesse ADVL.
Un homme, parmi les scientifiques, lui annonce qu’il est là pour le tuer et qu’il va le faire… prochainement.
Parallèlement, LiJi, une ancienne médialiste réussit à convaincre Xeline, une apprentie venue l’interviewer, de la réalité de la menace qui s’apprète à déferler sur la galaxie. Elle l’envoie mobiliser des membres influents du Parlement. Après deux échecs, elle trouve l’oreille attentive de Jeb Bardö, un vieux parlementaire sensible aux charmes féminins.
Mais une course contre la montre s’engage. D’après les observations de Manos Octoy, un astrophysicien, la nuée maudite sera sur Les Nuages de Maldan dans dix jours. Le Phosphelius doit ralentir à cause d’une déformation dans la coque. Et le tueur passe à l’acte…

La Science-Fiction fait partie de cette littérature dite, avec condescendance, de genre. Cependant, elle offre aux auteurs d’énormes possibilités d’expression par le déplacement de l’action dans l’espace et dans le temps ou sous couvert d’une intrigue débridée. Pierre Bordage fait partie de cette poignée d’auteurs qui, par ce biais, abordent de front les grands problèmes, les défis de notre société et défendent des valeurs humanistes. Observateur attentif de notre civilisation, il porte un regard, à travers l’histoire qu’il raconte, sur les dysfonctionnements de nos comportements, analyse nos attitudes, émet remarques et réflexions sur des situations. Il en expose les différentes facettes, en montre les excès comme les limites.

Dans chaque livre, Pierre Bordage explore aussi des formes de sociétés et des catégories sociales. Dans Frère Elthor, il s’attache aux parlementaires. Il s’appuie sur Jeb Bardö pour suivre les ténors de la politique, leur fonctionnement, leurs motivations et faire une description des arcanes du pouvoir. Il brosse de la classe politique un portrait sans complaisance, mais d’une grande pertinence. Il montre des hommes responsables de décisions concernant des millions d’autres gouvernés par leurs hormones ou uniquement préoccupés de marchandages pitoyables. Il conjugue, avec ce personnage, l’évolution de l’individu confronté à la vieillesse, les contraintes et les restrictions qu’elle impose.

Il donne à sa fresque une dimension biblique avec le don de soi, cette acceptation sans restrictions de tout abandonner pour vivre un idéal au service de l’humanité. Il prend ses héros parmi les gens ordinaires, de simples individus que la mission qu’ils ont acceptée transcende. Il revient aussi sur des idées qui lui sont chères comme le partage, le devoir de mémoire, de préserver l’héritage issu des générations précédentes..

Avec la nuée dévastatrice qui menace l’humanité, l’auteur ne développe-t-il pas une parabole et n’évoque-t-il pas notre propre sursis si les ressources de la Terre continuent à être gaspillées au rythme atteint aujourd’hui.

Il faut relire cette œuvre pour en saisir toute la richesse. En effet, Pierre Bordage écrit une histoire prenante dont on brûle de connaître la conclusion, survolant, de fait, des passages qui nous semblent d’un moindre intérêt pour l’action, manquant, ainsi, les éléments, les réflexions, les pépites dont le romancier truffe son récit.

Avec La Fraternité du Panca, Pierre Bordage renouvelle le Space Opera, lui conférant une dimension sociologique, ethnologique, menant un travail d’anthropologue. Il donne à ce cycle un souffle, une puissance romanesque, une force narrative peu usuels, accélérant son récit de volume en volume, jusqu’à une chute en cohérence avec l’esprit qui anime cette saga.
La Fraternité du Panca est un pur joyau dans l’univers littéraire.

serge perraud

   
 

Pierre Bordage, La Fraternité du Panca – tome 5, Frère Elthor, coll. « La Dentelle du Cygne », Editions de l’Atalante, mars 2012, 424 p. – 22,00 €

 
     

 

 

 

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Pierre Bordage, L’Evangile du Serpent

Ce premier roman contemporain de Pierre Bordage fut l’une des très bonnes surprises de la rentrée littéraire 2001

Il ne fait pas bon être prophète dans son pays, encore moins poser au nouveau Messie, surtout quand il s’agit d’une France arquée sur ses privilèges, arc-boutée sur ses illusions de croyance et de propriété. Or vient d’apparaître au regard de tous l’agitateur Jésus, « le Christ de l’Aubrac », un Indien Desana réchappé du massacre de sa tribu colombienne et élevé dans la Lozère. Multipliant les miracles, ce Christ new age qui se fait appeler Vaï-Ka’i (le Maître-esprit), sème chez ses disciples les germes révolutionnaires du néo-nomadisme enjoignant chacun d’ abandonner travail, biens et argent pour s’ouvrir à la générosité de la toile communautaire – qui relie tous les hommes désireux d’accéder à la maison des lois et des esprits.

Faute de quoi l’humanité ne sortira pas de son impasse d’autoconsumation dont les paroles de « Fin d’immonde », le rap apocalyptique de Taj Ma Rage, annoncent bien la couleur :
Ton seul futur : néant, liquidation (…) / Les savants et les prophètes le clament (…) / Feu sur la calotte, feu sur les culottes !
Emblème cyclique de ce vaste programme et des passerelles entre les espèces, le double serpent de l’ADN fleurit bientôt dans le monde entier, remettant en cause la spéculation capitaliste, le monopole sexuel comme la confiscation politique du pouvoir. Telle est « l’insupportable légèreté de l’errance ».

Sous la plume de Pierre Bordage qui livre ici son premier roman contemporain, quatre personnages principaux vont progressivement accéder à la sagesse de Vaï-Ka’i : Yann le fidèle compagnon du Maître, Marc le journaliste sur le retour, Mathias le tueur professionnel et Lucie la cyberstripteaseuse reconvertie. De ces quatre fils de trame épars, l’auteur tire la substance d’une étoffe de première qualité : un « théo-thriller » où humilité, respect, avidité et égoïsme sont combinés dans un scénario explosif mettant en relief l’éternel danger du prosélytisme au regard de l’orthodoxie et de l’élitisme technocratique. Ainsi services secrets, terroristes, gotha politique se donnent-ils la main, concoctant attentas et complots, afin d’éradiquer celui qui rend caduque toute notion de frontière quand il célèbre LE détachement absolu.

Mais dans un monde régulé par les euros des marchands du temple pour qui le Net vaut comme « nouvelle carte aux trésors », le hacker suprême n’a pas nécessairement besoin d’un ordinateur pour marquer les consciences. Une fois refermé ce diable de livre faisant son beurre romanesque de la paranoïa de l’Eglise face au chamanisme, les valeurs sociales et morales ne sont (enfin) plus ce qu’on croit – c’est tant mieux ! On aurait pu s’y attendre ; maintenant c’est sûr : L’Evangile du Serpent est la « bonne nouvelle » de la rentrée littéraire 2001.

frederic grolleau

   
 

Pierre Bordage, L’Evangile du Serpent, Au Diable Vauvert, 2001, 560 p.

 
     
 

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Pierre Bordage, Les chemins de Damas

Le pitoyable spectacle en technicolor d’un futur aussi désenchanté qu’illusoire

Allah Bordage !

Il y avait eu L’Évangile du serpent puis L’Ange de l’abîme, et c’est en toute logique que Pierre Bordage met un terme, avec ces apocalyptiques Chemins de Damas, à ce qu’il convient de nommer désormais « La trilogie des prophéties ». Nul besoin toutefois, pour celui qui découvre aujourd’hui cet auteur et cet épais roman d’anticipation, de lire les deux premiers opus pour se pénétrer du dernier : chaque élément de la saga est conçu de façon autonome, on peut donc l’aborder dans un relatif désordre – même si un le rythme qui va crescendo et la noirceur de la plume de Bordage semblent de facto épouser la succession chronologique.

Et il fallait bien ce déploiement (dans le temps comme dans l’espace) pour exposer la vision de l’univers qui traverse les trois livre. Les deux premiers tomes ont ainsi campé le conflit destructeur et fratricide (50 millions de victimes) ayant opposé l’Orient et l’Occident, avec pour conséquence la dévastation pure et simple des valeurs européennes : à l’instar de la ville de Paris qui n’est que l’ombre de sa splendeur d’antan, la plupart des cités jadis resplendissantes sont devenues de gigantesques mouroirs industriels voués à la pauvreté, au chômage, aux épidémies et à tous les genres de violence. Partout règnent l’inégalité et les abus de pouvoir.
C’est sur ces ruines civilisationnelles-là que Jemma, ayant connu naguère un train de vie relativement favorisé, voit sa fille, Manon, disparaître, a priori enlevée comme tant d’autres enfants par un groupuscule au service des nouveaux prophètes de l’ordre moral, les fanatiques du Christ-Roi, cela afin de composer, dit-on, une mythique Armée des enfants sévissant en Orient du côté de Damas, sous la houlette totalitaire des fameux « Ousamas » pointés dans L’ange de l’abîme.

Sortie de sa dépression par Luc, journaliste investigateur atypique, Jemma va alors se lancer avec lui sur les traces de sa fille dans une dangereuse et mouvementée traversée de l’Europe ravagée. Le lecteur, tout en suivant ces deux protagonistes, pénètre également dans la psychè d’autres hommes et femmes en perdition, ce grâce à une galerie de portraits mise en scène haut la main par un Bordage plus inventif et pessimiste que jamais.
Entre fanatisme religieux et décadence politico-économique, Bordage imagine un « chemin de Damas » initiatique qui réserve bien des surprises pour les deux héros et offre le pitoyable spectacle en technicolor d’un futur aussi désenchanté qu’illusoire, où s’étripent encore Chrétiens et Musulmans, sous le bienveillant contrôle du pouvoir omnipotent des évangélistes propageant sur le vieux continent, depuis les Etats-Unis, la bonne parole. La « fin de l’histoire » de ce monde-ci, qui n’en finit pas de finir, il faut attendre les ultimes pages pour la connaître. Sans doute la trame et le sytle se relâchent-ils alors, l’auteur n’allant pas au bout de sa thématique récurrente, cette armée fantomatique de gosses livrés à eux-mêmes, mais BB (la Bombe Bordage) a déjà propagé son onde de choc jusqu’à nous : attention aux dégâts collatéraux !

frederic grolleau

   
 

Pierre Bordage, Les chemins de Damas, Au Diable Vauvert, 2005, 496 p. – 23,00 €

 
     
 

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Pierre Bordage, L’ange de l’abîme

La mémoire, c’est le piège, c’est la force qui nous chevauche et nous ramène sans cesse à la case départ

Nous sommes dans une Europe pas si éloignée que ça de la nôtre. Dans la mouvance du 11 septembre 01 et du repli identitaire, une guerre totale – encouragée par les USA qui y trouvent leur compte- ravage l’Europe depuis 15 ans, divisée entre le front du Jihad islamique et les légionnaires de l’archange Michel incarnant pour la Grande Europe, sous l’égide de l’emblème Lance et Loi, de bonnes veilles valeurs religieuses et totalitaires qui sommeillaient ici bas depuis longue date et ne demandaient qu’à se manifester.

Pluies de bombes en uranium appauvri, attentats suicidaires, paysages déchiquetés par les conflits fratricides, cités apocalyptiques où ne règnent plus que les cailleras (bande de gamins orphelins de guerre armés jusqu’aux dents et prêts à tout pour survivre) et les zombies (épaves rôdant la nuit dans les ruines et se repaissant, au propre comme au figuré, de leurs victimes) : le tableau que dresse Pierre Bordage, dans la continuité logique de L’Evangile du Serpent, est sans concession. Fil directeur au sein de ce chaos, deux ados, Pibe et Steph, entament un périple sanglant vers le front de l’Est afin d’abattre l’archange Michel réfugié dans son bunker roumain. Ils vont être nos yeux pour constater, partout où ils passent, le désastre causé par les épidémies (notamment la Golfée héritée du golfe Persique au XXe siècle) et la lutte à mort qui oppose les Chrétiens aux Islamistes sur le vieil air de délation-sacrifice-massacre-complot-résistance-corruption-décadence…tandis que les Centres d’Evacuation des Ressortissants Islamistes « évacuent » dans des fours la « graine d’ousamas » qui pollue la belle Europe d’antan, défendant une conception archaïque de la Terre Sainte et des sacro-frontières qui vont avec.

Pierre Bordage entrelarde son propos principal d’une vingtaine de courts chapitres, soit autant de nouvelles, présentant d’autres individus, souvent non nommés, aux prises de manière singulière, avec ce même conflit aberrant, par lequel l’Histoire semble se répéter indéfiniment en creusant les ornières boueuses de la déshumanisation et du crétinisme cosmopolitique. C’est ce passé fixiste que combat la spirituelle Steph, ici chargé d’initier son disciple Pibe – au « moi caché » – à une dialectique tendance : l’éthique par le gun ! 
Un choix s’offre à chaque instant. A chaque instant le monde se renouvelle. […] on ne peut pas changer le passé. Mais rien ne nous oblige à rester prisonniers du passé. […] La mémoire, c’est le piège, c’est la force qui nous chevauche et nous ramène sans cesse à la case départ.

Ainsi s’en vont ces deux gamins, ces « mutants », ces « nouveaux monstres » changer la face du monde, qui n’a jamais paru aussi loin, aussi proche. Aussi vieux, tombé qu’il est sous la botte d’une angéologie démoniaque. Un monde putride qui, de fait,  » n’a pas beaucoup changé depuis les années 40.  » Et l’on se met à trembler en pensant que ce roman d’anticipation anticipe moins qu’il ne constate…

frederic grolleau

Pierre Bordage, L’ange de l’abîme, Au diable Vauvert, 2004, 560 p. – 23,00 €. 

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