Un roman intimiste qui fera le régal du lectorat féminin et des amateurs de textes historico-romanesques
Entre roman historique et fantastique, Graham Joyce emmène ses lecteurs dans les tribulations d’une famille anglaise durant la Seconde Guerre mondiale. Et quelle famille ! Sept sœurs, soudées autour d’une matriarche régnant sur ce petit monde avec une poigne de fer. La guerre passe et déchire Conventry, tandis que Cassie, la plus jeune des filles, la plus imprévisible aussi, brave les bombes et aide sa patrie au milieu d’une nuit pleine de flammes, de cris et de morts. Mais comment pourrait-elle, elle la dévergondée, élever ce petit garçon qu’elle n’a pas eu le cœur d’abandonner aux bons soins d’une étrangère sur les marches de l’église ? Comment lui faire confiance, alors qu’elle a des « crises » où elle oublie tout de ses actes – pour le moins étranges ? Mais la mère veille, elle qui reçoit de surprenantes visites… Cassie gardera son fils, héritier d’un fardeau qui lie les membres de cette famille. Et le petit va grandir, confié tour à tour à ses tantes.
Mais qu’en est-il de son secret ? Pourra-t-il le garder assez longtemps pour lui seul ? Et qui est cet « homme-derrière-la-vitre » aux requêtes si déroutantes ?
Aux frontières de la vaste ligne éditoriale de Bragelonne, ce roman attirera un public féminin, pas forcément lecteur de science-fiction ou de fantasy. La traduction, pleine de finesse et de tact, a été confiée à l’écrivain Mélanie Fazi, dont la plume saisit avec justesse le quotidien décrit ici. L’ensemble est séduisant, les rebondissements surprenants et les pages défilent sans que l’on y prenne forcément garde.
L’écriture est élégante et classique, la trame solide : on sent l’auteur déjà confirmé qui prend un malin plaisir à lancer ses lecteurs sur de fausses pistes pour mieux les dérouter. Il se permet un rythme lent, insérant les drames et les petits tracas du quotidien comme autant de perles qui s’enfilent les unes à côté des autres pour tisser un vaste motif aux couleurs pastels, comme ces souvenirs que l’on chérit précieusement – même si ce ne sont pas toujours les plus agréables. Les propos ont une coloration très intimiste et on sourit parfois à des rappels de scènes que l’on a soi-même vécues.
Difficile de trouver des défauts à un texte soigné, publié dans un format agréable – bien que peu pratique à tenir d’une main dans les transports aux heures d’affluence – et dont la traduction et la relecture ont été léchées. Pourtant, les amateurs de livres pleins de nains, d’elfes et de mondes à sauver auront un peu de mal avec ce récit, qui finalement ne baigne pas autant que cela dans le surnaturel. Mais peut-être seront-ils séduits par la poésie, les descriptions fines et la reconstitution historique de la ville natale de l’auteur… qui cumule les distinctions et les prix littéraires. En effet, en l’espace de presque quinze ans, avec à son actif dix romans et beaucoup de nouvelles, il a été récompensé par le Grand Prix de l’Imaginaire en 2003, quatre British Fantasy Awards et Lignes de vie a reçu le World Fantasy Awards !
Une œuvre qui vient inciter un public nouveau à rejoindre les lecteurs déjà nombreux d’une petite maison d’édition qui monte, qui monte…
anabel delage
Graham Joyce, Lignes de vie (traduit par Mélanie Fazi), Bragelonne, août 2005, 354 p.- 20,00 €. |
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