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Au commencement était le Verbe, Grandeur et splendeur des Bibles enluminées

Avec ce livre, Taschen invente la première bible qui peut entrer au Ritz sans être superflue…


Quand le superflu putatif devint divin…

Enfin grâce à l’éditeur Taschen le public peut-il avoir accès à l’extraordinaire richesses des manuscrits copiant et répétant les textes sacrés de la Bible, chasse gardée depuis le Moyen Age des ordres religieux qui en firent un des axes de leur éthique (il fallait souvent deux à trois ans de travail à un moine copiste pour réaliser une Bible complète) et des légats ou tout-puissants qui pouvaient ainsi commander des ouvrages fabuleux à eux seuls réservés et dont les enluminures – à la minutie quasi diabolique ! – valaient les plus somptueux des bijoux. Que l’on songe par exemple que le parchemin fort coûteux d’un codex de 800 feuilles équivalait à un troupeau de 300 ou 400 moutons à l’époque…

Mais Au commencement était le Verbe, qui met certes l’accent sur les collections des manuscrits de la Bibliothèque Nationale d’Autriche, ne se contente pas seulement de présenter des extraits de manuscrits, codiciles, évangéliaires, épistolaires ou autres textes liturgiques ; dans une volonté esthétique, cette véritable somme se double d’un méticuleux travail documentaire qui vise à retracer, selon un axe chronologique, mais aussi théologique et historique étayé par 6 catégories, l’histoire de la production des Bibles manuscrites, des débuts du christianisme, de la Réforme jusqu’aux Manuscrits de la Bible du judaïsme et des Eglises orientales, en passant par les fastueuses Bibles d’apparat ou encore par les bibles typologiques illustrées. Tout en informant le lecteur, éclairé ou pas, sur les tenants et aboutissants matériels de chaque ouvrage : nature de la composition des encres, des plumes et calames indispensables à la composition de ces milliers de pages dont chacune, grossie à la loupe de l’homme moderne, ressemble à un tableau de maître. Qualité des encres, richesse des enluminures et des supports de texte, des reliures et des décorations concourent de fait à réaliser des codex absolument renversants.

Ainsi se relaient au fil de l’imposant ouvrage, sous la houlette de Andreas Fingernagel, Stephan Füssel et Christian Gastgeber qui l’introduisent, une quinzaine de spécialistes rivalisant de précision et d’érudition afin de mettre en exergue tel ou tel détail d’illustration, tel ou tel parti-pris herméneutique à même de modifier la manière dont le texte biblique n’en finit pas d’élargir le cercle de ses lecteurs et commentateurs. Sans oublier, comme le rappelle à juste titre Stephan Füssel dans son propos liminaire que l’appréciation quant à la valeur de ces innombrables Bibles « décorées » tient pour l’essentiel à la pénible activité et au savoir-faire des scribes s’assurant ainsi une place dans l’éternité. Et le lecteur, émerveillé, de découvrir à satiété de pures merveilles atemporelles telles les 8 grandes initiales en or, jaune, vert, rouge et brun de la Bible Carolingienne dite Bible de Rado (2e tiers du IXe siècle) – p. 71 -, la Miniature de la création (début XVIe siècle) – p. 83 – illustrant les bibles parisiennes de poche qui se vendirent comme des petits pains au XIIIe siècle et servant de première de couverture au présent livre des éditions Taschen. Ou encore la somptueuse Initiale de la Genèse avec sept médaillons consacrés à la création du monde – p. 119 – de la Bible praguoise de Wenceslas (1389/95).

Une geste encyclopédique que Taschen achève au sens propre, à l’heure où les monastères ne sont plus, las ! que l’ombre de ce qu’ils furent, en permettant au néophyte ou au profane, d’habitude campé à l’extérieur du temple, de peur d’en souiller la beauté par son manque de connaissance religieuse, d’entrer avec aisance, qui plus est par le truchement d’un papier de haute tenue et d’un exceptionnel format, dans ce royaume de manuscrits aussi rares et munificents que fondateurs de toutes les cultures ici-bas. Facilité rendue manifeste par le glossaire qui reprend tous les termes et distinctions techniques qui pourraient faire obstacle à toute bonne volonté…

On ressort abasourdi de tant de splendeur, estomaqué par l’érudition des commentaires, quasi exégèse de l’Exégèse biblique. Plus qu’un ouvrage « indispensable » ou « de référence », c’est là une oeuvre d’art, un symposium coloré et enflammé par la dévotion qu’on lit et relit en découvrant pléthore de détails, parfois crus et horribles – ah ! ce prophète Isaïe coupé en deux, à la scie, de la Bible historiale allemande de la page 279 – qui font entendre, encore et toujours, combien l’imaginaire, le divin et la mort sont liés chez nombre de scribes et d’enlumineurs. Le superflu ? C’est comme une bible au Ritz, affirmait Francis Scott Fitzgerald ;Taschen invente la première Bible qui peut entrer au Ritz sans être superflue.

frederic grolleau

NB : les images reproduites ici sont issues de l’édition anglaise. Mais le livre existe bel et bien en version française sous les références données ci-après.

   
 

Collectif, Au commencement était le Verbe, Grandeur et splendeur des Bibles enluminées, Taschen, 2003, 245 x 370 mm, 415 p. – 49,99 €.

 
     

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